(Par Véronique Anger. Billet d’humeur du 11 décembre 2008)
Dans le monde d’aujourd’hui, notre conception « ethnique » de la nation, qui repose sur l'idée que les Français « de souche » partagent des racines communes (ethniques, religieuses, culturelles…) est non seulement une illusion, mais un concept d’un autre âge. Il serait temps d’en prendre conscience et de transmettre l’idée qu’une Nation se forge aussi de manière « élective ». Rappelons-nous que tous les citoyens français sont libres et égaux devant la Loi (mêmes droits, mêmes devoirs) et qu’on peut être Français sans avoir à rougir de ses origines, ni à nier les différences liées à sa culture, ses origines ou sa religion.
J’avoue que je n'aime pas beaucoup cette association antinomique des mots «discrimination» et «positive». Comment le fait de « discriminer » peut-il être un acte positif ? On démarre sur de mauvaises bases en insinuant qu’à compétence égale, on s’engage à favoriser certains citoyens au détriment d’autres. Le fait d’être « favorisé » peut-être reçu comme une humiliation de plus pour les minorités et je le comprends. Toutefois, ainsi que M. Chems Eddine Chitour le souligne dans son texte « Quand Jean-Pierre veut s’appeler Mohamed : l’échec de l’intégration à la française », une personne appartenant à une minorité a quatre fois plus de risques d’être au chômage qu’un Français dit « de souche » (au passage, j’avoue que cette expression « de souche » me fait doucement rigoler car si les Français qui se prétendent « de souche » avaient la curiosité -ou l’honnêteté- de rechercher leurs origines ethniques dans un test ADN, ils seraient nombreux à tomber des nues en découvrant qu’ils ont du sang coloré dans les veines... Ce serait peut-être un début de solution pour éradiquer le racisme si personne ne pouvait prétendre être «de souche» sur plus de quelques générations ? Bien sûr, certains pourront toujours prétendre qu’ils sont «un peu plus Français» que d’autres…). Compte tenu des statistiques, la discrimination positive serait donc un mal nécessaire. Aux Etats-Unis, ces «quotas» ont permis à de plus en plus de personnes de couleur d’accéder à des postes jusque-là réservés aux WHASP. Un candidat métis aurait-il pu être élu si les Etats-Unis n’avaient pas fait le choix de la discrimination positive?
En discutant avec des amis nés en France de parents d'origine maghrébine notamment, j'ai été étonnée de découvrir à quel point le racisme était encore présent en France (comme dans d'autres pays, cela va sans dire.). Dans mon esprit, il me semblait que ce problème était en passe d’être réglé. A vingt ou trente ans, me disais-je naïvement, on prête moins attention aux différences de peau ou d’origine religieuse. Nous sommes entrés dans le IIIème millénaire ; on a donc dépassé ce stade non ? Je croyais sincèrement que les générations les plus jeunes étaient les plus familiarisées avec la « différence », que les Français d'origine étrangère étaient mieux intégrés chez les jeunes pour une raison logique : la France est un pays de plus en plus métissé et l'intégration se fait dès le berceau, dans les crèches et les écoles. Donc, les personnes appartenant à une minorité visible ou portant un nom un peu exotique font « partie du décor » de nos écoles républicaines pensais-je. Erreur… Il semblerait, dans les faits, que les choses se passent de manière totalement différentes et que les esprits n'aient pas tant évolué que cela.
La question est : qu'est-ce qui « bloque » ? Au risque de faire de la psychanalyse sauvage, j'ai le sentiment que la réponse est liée à nos comportements « de meute ». L’humain est un animal social et il a besoin de se situer dans la meute que représente son petit (ou vaste) monde à lui. Nous acceptons plus facilement d’intégrer de nouveaux venus à notre cercle familial, amical ou professionnel, si nous ne nous sentons pas menacés. Or, nous vivons dans des mondes perpétuellement en crise. Le philosophe Michel Serres parle, à juste titre, de « mise en scène de la peur » dans nos sociétés. Même en temps de paix, les peurs sont légions (peur de la maladie, peur de souffrir, peur de l’avenir, peur de manquer : menace de perte d’emploi chez les seniors, difficultés à trouver un emploi chez les jeunes, compétition exacerbée pour tout le monde, insécurité économique ou physique). Nous vivons dans la peur de tout (je ne dis pas que certaines peurs ne sont pas fondées, mais je crois qu’elles sont souvent exagérées, notamment l’insécurité physique, qui est surtout concentrée dans les quartiers et les zones défavorisées) et cette peur plus ou moins irrationnelle conduit immanquablement au repli sur soi et à l’agressivité. Quand on a peur de manquer, on est moins disposé au partage et on favorise donc son groupe d’appartenance, sa « meute » (ses enfants et le cercle familial élargi puis le groupe social, ethnique, religieux,… auquel nous appartenons. En d’autres termes, nous pouvons accepter de partager avec ceux qui ont les mêmes valeurs, la même culture, vivent ou pensent comme nous… Les gens croient se protéger de ce qui leur semble « étranger » en pratiquant une politique de l’exclusion.
Heureusement, les comportements de meute sont prévisibles et c’est pour cela qu’on devrait réussir à agir sur eux et à les modifier. Mais encore faut-il une volonté politique forte, une volonté citoyenne, un désir réel d’améliorer notre rapport à l’autre, en particulier à celui qui, a priori, ne nous ressemble pas. Comment aider ceux qui ont peur, notamment de la différence, à porter un regard neuf sur une société de plus en plus métissée ? Si, comme le prétendait le président Mitterrand : jusqu’à ce que nous devenions adultes, « nous sommes le produit de notre éducation », il est grand temps d’intégrer des principes de tolérance et d’ouverture aux autres dans notre système éducatif. Les Français, qu’ils soient nés en France d’origine étrangère, de première ou seconde génération, naturalisés Français,… ont soit fait le choix d’appartenir à la « Nation française », soit sont « nés Français ».
La volonté de « faire France » -pour reprendre une expression trop souvent galvaudée- a un sens pour toutes ces personnes forcées de fuir leur pays en guerre, la famine ou l’oppression et dont on n’imagine pas la détresse que représente pour elles l’abandon de leur patrie d’origine. Elles croient trouver protection et compassion auprès de nous, Français de souche ou d’adoption. Et faire France a un sens aussi pour tous ces enfants issus de l’immigration qui en ont assez qu’on leur demande, sous prétexte de la couleur de leur peau ou de leur nom à consonance étrangère: « De quelle origine es-tu ? » quand ils sont nés à Lyon ou à Marseille et, parfois, ne parlent même pas la langue de leurs parents et qu’ils se sentent Français à part entière.
Dans le monde d’aujourd’hui, notre conception « ethnique » de la nation, qui repose sur l'idée que les Français « de souche » partagent des racines communes (ethniques, religieuses, culturelles…) est non seulement une illusion, mais un concept d’un autre âge. Il serait temps d’en prendre conscience et de transmettre l’idée qu’une Nation se forge aussi de manière « élective ». Rappelons-nous que tous les citoyens français sont libres et égaux devant la Loi (mêmes droits, mêmes devoirs) et qu’on peut être Français sans avoir à rougir de ses origines, ni à nier les différences liées à sa culture, ses origines ou sa religion.