(Par Véronique Anger-de Friberg. Billet d’humeur du 18 avril 2009)
J’écoutais distraitement l’émission de Christiane Charette en direct du salon du Livre de Québec ce matin quand l’un des écrivains invités, Richard Dubois, a commencé à parler des Français…
Je parle du « Français de France » qui s’est pris d’amour pour le Québec (ils sont fort nombreux) et a planté sa tente chez ses cousins nord américains. Le Français l’oublie souvent, mais le Québecois est bien un Américain du nord, mais dans un îlot de francophonie. Je parle aussi du Français resté vivre dans son pays qui, en 2009, rayonne toujours sur son ancienne colonie. Pas un jour sans que Radio Canada n’évoque l’ancienne mère-patrie, les frasques de son président, les joutes verbales opposant politiques ou intellectuels, ou n’interroge un expert, scientifique ou sociologue, sur tel ou tel grand sujet de société, ce qui pourrait laisser supposer à tort que les meilleurs spécialistes ne se trouvent ni au Québec ni dans le reste du Canada…
Le Français est un emmerdeur…
L’animatrice a rappelé à un Richard Dubois un poil agacé, qu’il avait écrit des lignes un peu sévères sur les « maudits Français » il y a quelques années et qu’il ne s’était pas privé de leur adresser les reproches habituels : le Français est arrogant, le Français se croit le peuple le plus intelligent de la planète, le Français aime faire la leçon (de français mais aussi d’histoire ou d’histoire de l’art), le Français étale sa culture, le Français est un intello, le Français a l’esprit de contradiction, le Français est contestataire, le Français est froid et cassant, le Français sait tout sur tout, le Français parle un langage abscons tout en étant persuadé que tout le monde le comprend, le Français ne comprend pas le québecois, le Français part du principe que tout le monde a intégré ses références littéraires ou culturelles, le Français -qui raffole du débat d’idées- pratique le persiflage comme un art, le Français veut toujours avoir le dernier mot et un « bon mot » de préférence, le Français parle français avec un « accent » précieux, etc, etc. Cette représentation est à la fois caricaturale et plutôt juste avouons-le… De toute façon, les petits et grands travers des Français ne sont un mystère pour personne et on pourrait poursuivre sur sa personnalité si caractéristique pendant des pages et des pages ! En résumé, tout le monde aura compris que le Français est un emmerdeur et veut être le centre du monde…
Là où ça devient intéressant, et nouveau, c’est que ce même Richard Dubois admet devant Mme Charette qu’il a appris à connaître et à apprécier les Français en passant du temps dans l’Hexagone. Il prétend qu’il a même fait quelques belles découvertes… Il a observé, par exemple, que les Français étaient plus hospitaliers qu’accueillants alors que, selon lui, les Québecois seraient plus accueillants qu’hospitaliers... On sent qu’il a passé un certain temps en France, en effet, pour jouer ainsi sur les mots… Et d’expliquer comment se sont déroulés plusieurs dîners parisiens auxquels il a participé. Chez l’un, les invités déclamaient de la poésie accompagnés au piano par un invité musicien (je ne peux m’empêcher de noter au passage, la jolie image d’Epinal des dîners de l’élite intellectuelle de la capitale…). Chez un autre, on évoquait André Breton ou Karl Marx tout en sollicitant votre avis sur la question… Ou de rapporter comment il a été admis dans le cercle familial ou amical de tel hôte au départ sur la réserve. Et de faire son mea culpa en reconnaissant que les Français n’ouvrent pas facilement leur porte et qu’il faut persévérer pour devenir intime avec eux. Mais, une fois franchi ce cap, ils vous laissent pénétrer leur univers avec une belle générosité et vont parfois jusqu’à vous introduire au sein de leur famille. Il comparait cette amitié longue à mûrir avec la chaleur spontanée du Québecois qui est d’un abord facile, souriant et capable de « jaser » avec le premier venu sans, pour cela, avoir besoin de connaître son arbre généalogique...
M. Dubois a pris de nouvelles habitudes en France puisqu’il semble trouver étrange qu’un dîner -ou plutôt un souper (en bon québecois)- puisse débuter vers 17H30 pour s’achever sur les coups de 20H30… S’il est vrai que certains soupers se déroulent à l’heure à laquelle les écoliers français dévorent leur goûter, tout dépend aussi de la nature du souper ou des habitudes du groupe social qui reçoit. Avec mon mari, il nous est arrivé plus d’une fois de nous rendre à un souper informel vers 15H30 le week end… Le plus souvent, les invitations sont lancées pour 18H-18H30, voire 19H, ce qui reste, je vous l’accorde fort tôt pour un Français, en particulier s’il est Parisien !
Je confirme que tout ce que dit Richard Dubois est vrai. Oui, tout cela est vrai, je l’ai vu, je l’ai vécu, en France comme au Québec, à cela près que ce que décrit notre écrivain québecois est éminemment caricatural. En France, les dîners en ville ne se déroulent pas de la même façon selon qu’on vit à Paris ou en province, dans une mégalopole ou une ville de taille moyenne, dans un milieu élitiste ou chez des Français moyens, chez les jeunes, les quadras ou les séniors, etc.
Les qualités des ses défauts
En tant que française vivant au Canada (pas seulement au Québec) depuis plusieurs années, je suis et serai probablement toujours perçue comme « typiquement française », d’abord en raison de mon accent « si français », de mon métier, de mon goût pour la joute intellectuelle « virile mais correcte », d’un humour typiquement français, de mon éducation, de mon besoin de retourner régulièrement en France pour me ressourcer auprès de mes « réseaux » (familial, amical, intellectuel), bref de tout ce qui fait qu’un Français est facilement identifiable au milieu d’un groupe d’étrangers. Mais cela ne nuit en rien à une bonne intégration. Je me sens bien dans ce pays, et j’ai le sentiment que ma patrie d’adoption m’a intégrée facilement. Ces petites différences énumérées par M. Dubois sont agaçantes pour les Québecois quand elles sont cumulées ou caricaturales. Mais les Français « cool », ceux qui débarquent et font l’effort de se concentrer suffisamment pour comprendre le québecois sans avoir à faire répéter, ceux qui sont ravis d’être conviés en toute simplicité à « un party » dans une cabane à sucre avec, au menu, « poutines » et « blés d’Inde » beurrés (prononcer « blé d’Aïnde »), ceux qui trouvent génial de danser avec tout une « gang » (prononcer « gagne ») de Québecois déchaînés sur la musique de Michel Pagliaro, des « Cowboys fringuants » ou de « Mes Aïeux » dehors par une (très) fraîche soirée d’automne, ceux qui prennent le risque de finir congelés par moins 31 degrés le soir de la St-Sylvestre à Québec pour crier le décompte de la nouvelle année avec la ville entière,… ceux-là n’ont aucun souci à se faire. Parce que les Québecois sont comme ça, été comme hiver, ils vivent dehors et en « gang ». Ils ont besoin de chaleur humaine dans ce pays aux saisons si violemment contrastées. Un printemps attendu avec trop d’impatience qui peine à s’imposer et laissera vite place à un été aussi chaud qu’éphémère. Un automne coloré, flamboyant prendra la relève et ce sera l’« été indien ». La plus belle des saisons. La plus colorée aussi. Il faut voir l’été indien au moins une fois dans sa vie tant septembre et octobre peuvent être magiques. Puis, les oies repartent et c’est déjà l’hiver qui s’annonce… L’hiver qui s’installe… durablement (4 à 6 mois). Parfois polaire, presque toujours sec et ensoleillé et, aux yeux des Québecois, toujours trop long.
Le climat québecois explique sans doute bien des choses, notamment leur ingéniosité, leur désir de chaleur humaine, leur esprit de solidarité. Quel peuple aurait pu survivre aux rudesses de l’hiver sans l’entraide et le système D ? Aucun… M. Dubois a peut-être raison de penser que les Québecois sont plus accueillants qu’hospitaliers mais, ce qui est certain, c’est que mon mari et moi-même n’avons jamais rencontré, en France, cette bienveillance et cet esprit de solidarité « spontanés ». Au Québec, un ami de fraîche date ou un voisin peuvent ne jamais vous avoir invité à leur table, mais cela n’empêchera pas ce même ami ou ce même voisin de vous tendre une main secourable, une aide aussi inespérée qu’inattendue, avec un naturel et un tact immenses. Je peux en témoigner pour l’avoir vécu.
Hospitalier ou accueillant ne signifient pas grand-chose en vérité. Ce qui est frappant, en revanche, c’est que chaque peuple a des qualités et des défauts qui le caractérisent « typiquement ». Mais ces mêmes peuples ont aussi les qualités de leurs défauts. Et c’est probablement ce qui les rend si attachants. Dans son discours, prononcé au nom de la France, pour le 400ème anniversaire de la ville de Québec le 04 juillet 2008, François Fillon a eu cette belle phrase que je ferais mienne : « Il existe en chaque Québecois une émotion française et en chaque Français un rêve québecois. ».