Le Greco en noir et blanc (ou presque)

Publié le 03 mai 2010 par Marc Lenot

Ce n’est pas vraiment une rétrospective du Greco que présente Bozar à Bruxelles (jusqu’au 9 mai) : la majorité des tableaux présentés ici sont non pas de lui, mais de son atelier, de ses suiveurs, de copistes et certains n’ont même qu’un rapport éloigné avec le maître. Il est certes fort pertinent de souligner à quel point, venu des canons rigides des icônes byzantines (aucune n’est présentée ici; il est révélateur que la plus connue montre Saint Luc en train de peindre une icône de la Vierge), Domenikos Theotokopoulos (qui signa toujours de son vrai nom, et en lettres grecques) a su apprendre perspective, volume et couleurs à Venise, puis à Rome, et parvenir ensuite à une magistrale synthèse hispanique. Mais la démonstration ici de cette évolution reste livresque et n’est guère soutenue par les oeuvres présentées.

C’est donc une exposition plutôt décevante dans l’ensemble et je suis assez en accord avec Didier Rykner sur ce point. On n’y voit guère de chefs d’oeuvre et on resterait un peu sur sa faim, malgré la superbe salle aux douze apôtres à la fin (quelle étrange idée que cette salle sombre où les visages des personnages du Comte d’Orgaz sont projetés au mur; la toile, elle, n’est pas là, seulement une médiocre copie tronquée).

Mais tout n’est pas à jeter; d’abord, l’histoire de la disparition du Greco de la scène artistique pendant des siècles et de sa redécouverte sur fond de nationalisme et de spéculation au début du XXème siècle (avec construction de sa fausse maison convertie en musée) est des plus intéressantes. Ensuite, la présentation du business Greco - atelier avec de nombreux disciples et apprentis, multiplication des toiles par ses élèves à partir de la première, seule peinte par le maître, utilisation de la gravure pour diffuser encore plus son oeuvre - est fort bien faite.

Enfin, l’accent est aussi mis sur des oeuvres de la fin de sa vie, aux antipodes de l’exubérance manièriste, tableaux simples, dépouillés, sombres, parfois quasi monochromes: certains de ses portraits sont des chefs d’oeuvre de finesse psychologique, de sensibilité (ci-dessus, portrait du médecin Don Rodrigo de la Fuente, aux yeux légérement asymétriques et au visage comme baigné d’un nimbe flou) et témoignent de l’audace créatrice d’un peintre dont on connaît davantage les grandes compositions religieuses colorées et grandioses. Le portrait ci-contre de Diego de Corravubias est un portrait posthume, d’après une toile d’Alonso Sanchez Coello : le Greco, qui  peint 23 ans après la mort du modèle, réussit l’exploit d’en faire un portrait infiniment plus vivant, plus psychologique, plus intense que celui peint sur le vif. Le Saint Barthélémy en haut (qui fait partie de l’Apostolado du Musée Greco de Tolède) est peut-être inachevé, mais il me plaît de croire que c’est peut-être aussi un témoignage de l’austérité du peintre dans ses dernières années, une ultime expérience d’atteindre à une pureté plus grande, plus formelle (nonobstant le petit dragon tenu en laisse) : le travail des plis et des jeux de lumière sur l’étoffe est fascinant, comme le sont les volutes sur la chasuble de Saint Ildefonse, pure délectation abstraite (Velazquez, qui admirait beaucoup le Greco, fit preuve de la même débauche formelle dans un habit de Philippe IV en brun et argent).

Pour lire des critiques plus enthousiastes que la mienne : ici et