Presque trois mois sans voir les fistons, c'est long. La semaine à Dakar précédent leur arrivée s'éternise même si l'attente est occupée par le carénage et les pleins de Galapiat ainsi que par le regain de vie au CVD, alors que de nombreux marins sont revenus pour le départ de la régate annuelle entre Dakar et Ziguinchor. Légère inquiétude quand ma mère m'annonce que, pour changer, la SNCF est en grève, et l'oblige à prendre un avion pour Paris où elle retrouvera les enfants. Ah, la France.... ses agents caractériels de la SNCF qui choisissent toujours les vacances pour savamment emmerder la population. Heureusement cette fois, le personnel gaté d'Air France daigne encore oeuvrer. D'habitude, eux aussi affectionnent les grands départs pour clouer les avions au sol. Non, le vrai soucis cette fois, c'est le volcan et la poussière qu'il crache dans le ciel d'Europe. Départ annulé et repoussé du samedi au lundi matin, puis annulé de nouveau sans alternative. Le temps passe vite quand il est compté. J'enrage contre le sort, contre la situation, contre le monde entier, puis miracle: à 22h, on propose à ma mère de partir immédiatement en bus pour Toulouse et de prendre un vol du lendemain. Malgré les incertitudes et le périple que signifie ce nouveau trajet avec les enfants, elle saisit sa chance et passe entre les gouttes, un des rares avions à décoller de France ce jour..... Et les voilà! si changés depuis janvier mais immédiatement proches comme si nous nous étions quittés la veille. «ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu, papa » me dit pensif Thao le premier soir alors que nous allons chercher des tongues pour Ewen à la boutique d'en face, les même laides, blanches et vertes que celles que je porte et que Ewen, hilare et fier, vénère pour être « les mêmes que Papa ». Ils retrouvent sans hésitation leurs repères et reflexes de petits marinheiros.
Nous partons avant l'aube pour le Saloum, distant d'une soixantaine de milles. Après ces mois de lutte au grattoir contre la colonisation de la
coque, dans la nuit de Hann, Olga s'étonne de voir déjà filer Galapiat à 5 noeuds dans un portant très leger et moi, je retrouve enfin mon bateau. Navigation rapide et confortable sinon les slaloms incessants entre les casiers et filets qui jalonnent tout le trajet, nous jettons la pioche devant Djiffere alors que les enfants se réveillent de leur sieste. Les routines de vie marine avec eux, interrompues en novembre dernier, reprennent naturellement. Je réalise en bâtissant un château de sable que cela fait bien longtemps que je n'ai pas trainé sur une plage. Des villageois s'arrêtent souvent pour s'amuser des petits toubabs qui pataugent dans l'eau ou s'enterrent dans la sable; des essains d'enfants se joignent systématiquement à eux dans leurs jeux. Thao et Ewen sont surpris de trouver encore plus excités qu'eux. C'est si rare. Maman, quant à elle, s'adapte au mood Afrique. Djiffere en est une bonne introduction. Village de pêcheur très actif sur une étroite langue de sable entre Atlantique et fleuve, grignotée chaque année par l'océan, on aime Djiffere pour son environnement, son intense trafic de pirogues de pêche, ses sechoirs à poisson, ses habitants toujours curieux et frondeurs, mais tout metropolitain fraichement débarqué d'une France riche, aseptisée et politiquement correcte sera dérouté par ses habitations en authentique parpaing brut ou par les déchets qui s'amoncelent côté atlantique et dont se régalent les zébus.Moins de deux semaines ne permettent que d'effleurer le Saloum mais cela importe peu. L'essentiel est de profiter du temps partagé. Nous ne remontons pas le fleuve bien loin et le quittons au bout de quelques milles pour le sinueux marigot de Ndangane. Avec ses nombreux campements et un accès par la route, le bas Saloum est nettement plus touristique que la Casamance mais reste plaisant. A Mar Lodj, les kids goutent l'ambiance de l'école sénégalaise, mangent le Tieboudienne dans le grand plat commun à même le sol, se baignent avec les enfants du
village tandis que de sculturaux lutteurs s'entrainent sur la plage, probablement en vue du tournoi de Djiffere où ils se défieront quelques jours plus tard. Le rythme du bord a bien changé avec deux mini-duettistes qui lancent leur show dès 6h30 du matin, l'occasion de partir à l'aube en annexe pour un petit-déjeuner exploratoire dans les bolons de l'ile aux oiseaux, en compagnie des pélicans et autres échassiers qui la peuplent. A Ndangane, nous retrouvons des voileux croisés tantôt au CVD qui ont bien pris le rythme sénégalais avec déjà trois semaines juste entre le mouillage de Djiffere et celui de Ndangane. Nous n'avons pas ce loisir et retournons déjà vers l'embouchure mouiller sur la langue de sable sud que la mer a patiemment séparée du continent depuis quelques années. Le picnic à l'ombre de la tente improvisée montée sur la plage de notre île déserte plait tant aux enfants qu'un moment, ils ne veulent plus déjeuner sur la bateau. Je tente d'entrer dans le marigot de Ghokor pour un dernier mouillage mais ni la carte dont les sondes sont fausses, ni les instructions de Steve Jones, ni l'étale basse ne me permettent d'en identifier le chenal. Je plante le bateau dans un banc de sable dont je me dégage à grand coups de gaz tel un 4x4 enlisé, avant de retourner finalement à Djiffere pour les deux dernières nuits. Un petit goût de brousse nous est donné par Omar, avec qui nous prenons une très rustique cariole à cheval qui file d'abord sur la plage à marée basse vers les villages de Palmerin au nord de Djiffere, puis au travers des cratères dont est extrait le sel à destination de la Gambie. Nous slalomons entre les baobabs de la réserve jusqu'à atteindre un magnifique campement du bout du monde, qui se niche et épouse la petite colline sur lequel il a été établi ainsi que, sur pilotis, le bolon peu profond qui la baigne.Et puis, il faut déjà rentrer. Vent debout, je prévois avec de la marge presque 24h de près, à tirer des bords pour la remontée vers Dakar. Nous partons en fin de journée lorsque la marée commence à remonter et j'anticipe une sortie par la passe nord un peu sportive. La ligne de brisant n'est guère encourageante mais puisque nous sommes passés à l'aller, nous devrions pouvoir sortir en suivant notre trace GPS. C'est quand même bien stressant, y compris pour moi et particulièrement pour ma mère. La sonde indique souvent à peine deux mètres, les vagues raides déferlent, brisent sur l'étrave du bateau et envahissent le pont. Je ne le referais pas volontiers, plus désagréable encore que la Casamance, à prendre au meilleur jugé car même pas balisé mais nous passons, c'était logique. Désolé maman car même en prévoyant au mieux tout notre parcours, ne n'ai pas pu t'épargner les incessants slaloms entre les casiers en nombre, les sineuses avancées dans les bolons entre les bancs de sable dans des fonds limités, un plantage en règle à l'entrée de Gokhor, une sortie du fleuve particulièrement musclée et, finalement, l'obligation de faire du près pour remonter à Dakar. Ceci dit, les conditions sont agréables, peu de mer, entre 10 et 15 noeuds de vent à peine, de quoi filer tranquillement sans trop de gite ni vagues à ouvrir. Nous arrivons sur Dakar vers 15h, tranquilles pour se poser, préparer les affaires pour le vol retour du lendemain samedi.
Ils sont repartis. Deux petites semaines, c'est vraiment court mais je ne suis pas triste. Bien au contraire. C'est la première fois depuis que ce voyage a pris un autre tournant, que les enfants sont revenus à bord, chez moi, chez eux, chez nous. Je pouvais difficilement espérer que ça
se passerait aussi bien et, malgré les aléas liés à cette situation un peu particuilière, ces premières retrouvailles à bord entre mecs me font envisager avec sérénité et bonheur les suivantes, plus durables, à commencer par la prochaine au mois d'août à Rio.Olga et moi reprenons notre petite vie de couple fraternel sur un bateau redevenu bien calme. Fin de cycles : les enfants ont quitté Galapiat à Las Palmas avec leur mère en octobre et l'ont enfin retrouvé pour la première fois au Sénégal. Sénégal comme camp de base régional qu'entre Cap Vert, Casamance, Saloum et Guinée-Bissau, j'écume depuis déjà six mois. Six mois ne sont rien en comparaison du temps qu'y passent les habitués mais c'est beaucoup plus que ce que j'avais prévu, d'abord à cause des circonstances familiales récentes mais aussi parce que l'Afrique m'a repris sous sa coupe, tout comme lorsque j'y vivais lors de ma coopération il y a déjà 15 ans. La langoureuse musique Cap verdienne ou guinéenne, les rencontres, la solitude sauvage des Bolons de Casamance ou des ïles Bijagos bercent ces mois. Fin de cycles: bientôt un an que je suis parti. Et de l'autre côté de l'Océan et de l'équateur, comme un trait d'union median du voyage, le Brésil nous attend à quelques 3000 milles d'ici, soit environ, la même distance que celle parcourue depuis mon départ de Hyères. Si je me réfère à une moyenne conservatrice de 5,5 noeuds, ça donne 22 jours. J'ai choisi Rio, à 900 milles plus au sud de Salvador de Bahia où l'écrasante majorité des voiliers atterit plutôt, car il est assez tard en saison: il sera ensuite plus facile de remonter le continent vers le nord que de le descendre. Comme j'avais de toutes façons l'intention d'aller naviguer dans ces parages, autant y aller directement. Et puis Dakar-Rio, ça sonne bien. Troisième transat, une nouvelle fois différente. Après la classique, courte et comfortable Cap-Vert-Antilles de 96; la plus fraîche et longue Panama-Hyères de 08, celle-ci aura pour particularité de nous faire experimenter le pot au noir, heureusement assez limité semble-t-il cette année, ainsi que les alizés du sud-est. Je me demande si les alizés de l'hemisphère sud ont une saveur différente, si les coryphènes seront aussi nombreuses pour remplir nos assiettes, si j'aurai beaucoup de près vers la fin pour gagner au sud etc... A mon sens, cette transat devrait être plus simple et douce que le convoyage de 2008 depuis Panama.
A quelques complements d'avitaillement limités et deux troix bricoles à regler près, nous pouvons
prendre la mer à l'instant. Nous partons demain ou après-demain pour un grand bol d'air et une remise des compteurs à zéro. J'avais bien proposé à deux trois amis de se joindre à nous si ils le souhaitaient et le pouvaient mais comme prévu, nous ne serons finalement que deux avec Olga. C'est amplement suffisant. Sur ce trajet, les conditions sont généralement simples et agréables. Avec un trafic hauturier probablement limité à quelques bateaux sur l'ensemble de la traversée et le radar pour veiller, Galapiat reglé sur ses rails nous laissera tout loisir de buller, contempler, bouquiner, bricoler, cuisiner et autres occupations classiques d'une transat.Fin de cycle : Ciao l'Afrique et à une prochaine Inch Allah.