Lire dans la peninsule iberique

Publié le 03 mai 2010 par Abarguillet

Histoires d’Ibères

Quittons l’Italie et, d’un coup d’aile, traversons la Méditerranée pour atterrir en Espagne où la littérature a littéralement explosé depuis la disparition du franquisme, livrant une pléthore d’œuvres toutes plus intéressantes les unes que les autres et il nous faudra bien effectuer deux séjours dans ce pays pour apercevoir une infime parcelle de cette richesse littéraire. Nous réserverons cette première étape à la jeune génération qui a commencé à publier après la mort de Franco et pour débuter à Elia Barcelo qui nous propose un petit roman construit avec une très grand habilité pour nous perdre dans les méandres du temps. Notre deuxième visite sera réservée à Antonio Soler auteur d’un roman fascinant qui entraîne le lecteur dans les dédales du vice. La dernière visite sera pour Manuel de Prada et son roman fleuve qu’il a publié à vint cinq ans, à peine, et qui pourrait annoncer un très grand écrivain … mais pour cela il faut renouveler l’exploit plusieurs fois. Pour nous guider au sein de cette foule d’écrivains talentueux, nous avons choisi Manuel De Lope auteur lui aussi d’un livre à la construction assez complexe qui ravira les amateurs d’histoires écrites entre les lignes.

Une complicité

Manuel De Lope (1949 - …)

Restons complices de cette histoire que Manuel De Lope esquisse, plus qu’il écrit, dans un long cheminement, presque aussi long que la lecture de son récit, depuis le viol de Maria Antonia, très jeune fille qui vivait alors dans une taverne sur les bords de la Bidassoa, au moment où « cette guerre qui commençait sans savoir que c’était vraiment une guerre », jusques à l’arrivée, plusieurs décennies plus tard, de Manuel Goitia dans la maison de Maria Antonia qu’elle partagea avec Isabel, la grand-mère de Manuel. Isabel qui eut le malheur d’épouser cette même année, 1936, un militaire qui choisit le mauvais camp et mourut, fusillé par les vainqueurs, quelques mois après son mariage laissant sa femme éplorée et enceinte. Maria Antonia après avoir subi ce viol quitta sa maison pour rejoindre un protecteur attentionné qui lui demanda de venir servir Isabel isolée dans sa maison en bord de mer après le décès de son mari.

L’histoire, le destin, réunit ces deux femmes qui font partie des dégâts collatéraux de cette guerre fratricide et aveugle qui assassine et martyrise les innocents, laissant Maria Antonia violée et Isabel veuve, mettre leur malheur en commun pour construire une autre vie que l’auteur ne nous contera pas mais que nous pourrons imaginer après le récit du séjour de Manuel chez Maria Antonia pour préparer ses examens, plusieurs décennies plus tard, quand Isabel est décédée et Maria Antonia est devenue une vieille femme renfermée. Sous le regard du Docteur Castro, le voisin des deux femmes depuis toujours, l’histoire se dessine, s’esquisse, et on pourrait reconstituer la vie de ces deux femmes avec Veronica la mère de Manuel partie vivre à la ville.

Ce récit tout en allusions, suggestions, détails anodins mais explicites, nuances, couleurs, odeurs, et sons, s’il effleure l’histoire que ces deux femmes auraient pu vivre, raconte surtout la généalogie de Miguel telle que le voisin l’a vue se construire. Certes ce récit est d’une grande finesse mais il ressemble un peu trop à un exercice de style tant il fait devoir appliqué et studieux d’un premier de la classe qui veux épater son professeur. Le récit est lent et répétitif, l’intrigue est éventée et prévisible dès le début. Elle n’est d’ailleurs pas l’élément central du récit mais seulement le prétexte à une narration studieuse et étudiées sur la fatalité, les aléas de la vie que les hommes, en la circonstance plutôt les femmes, ne maîtrisent pas et surtout sur la façon dont deux être malmenés par le sort arrivent à construire un possible en mélangeant deux vies devenues impossibles dans une complicité nouée à huis clos et partagée avec le seul témoin nécessaire, le voisin docteur protagoniste passif. Une vie où « la quantité nécessaire de dissimulation et de mensonge pour que le dommage que la vie avait infligé à ces deux femmes soit d’une certaine façon compensé. »

Ce texte est aussi un message d’espoir pour tous ceux qui doivent faire face à l’injustice du sort mais qui peuvent toujours espérer voir un coin de ciel bleu dans leur avenir. Et aussi, peut-être, une réflexion sur la vérité qu’il n’est pas toujours nécessaire de connaître pour construire un avenir serein, rempli d’espoir.

Le secret de l’orfèvre  de Elia Barcelo  ( 1957 - ... )

Voilà encore une belle démonstration qui prouve avec talent que la quantité n’est pas forcément nécessaire à la qualité. En effet, ce petit livre, tout petit même, nous entraîne dans un voyage sur les pas d’un jeune ibérique devenu orfèvre de renom à New York qui, passant par son village natal, entreprend sans le savoir, a priori, un voyage dans le temps plein de surprises et de révélations. En prenant le train pour rejoindre l’avion qui le conduira en Amérique, il ne peut résister à l’envie de redécouvrir le village qui l’a vu naître, il y a bien longtemps déjà. Mais, à son réveil, il découvre avec surprise qu’il est maintenant en 1952 et qu’il vit dans son village natal comme il était à cette époque là alors que lui est désormais en 1999. Ainsi, Elia nous entraîne avec habilité, finesse et malice dans un jeu de piste où l’un va essayer de conjuguer l’avenir de l’autre avec son passé et en reconquérant la femme qui l’a initié aux plaisirs de l’amour quand il était un jeune homme encore naïf. Mais l’histoire, même quand on mélange les temps avec la plus grande adresse, est bien difficile à réinterpréter et réserve parfois bien des surprises

Les héros de la frontière  de Antonio Soler  ( 1956 - ... )

Une histoire qui pourrait être sordide mais que l’auteur à su rendre plutôt truculente malgré l’ambiance dans la quelle elle se déroule et malgré les événements qu’elle comporte. Un misérable qui a échoué dans un quartier populaire d’une ville espagnole fait la lecture du journal à l’aveugle du coin qui lui raconte comment, depuis sa chambre, il partage les ébats amoureux de la voisine et de son brutal mari. Il devient ainsi le témoin d’un acte criminel qui lui permet de faire chanter la belle dont il est tombé amoureux, et c’est au tour du lecteur de journal de se faire voyeur et maître chanteur jusqu’à l’éclatement du drame. Un sujet scabreux mais un roman passionnant et très habilement construit.

Les masques du héros  de Juan Manuel Prada  ( 1971 - ... )

Un roman fleuve dont l’intrigue se déroule dans les milieux littéraires de Madrid, dans le premier tiers du XX° siècle, où l’on peut croiser Bunuel, Dali, Garcia Lorca, Borges, Gomez De la Serna, ... qui se mêlent aux personnages fictifs inventés par de Prada. Le héros, fils d’un homme déchiré par la mort prématurée de sa femme et qui laisse sa fortune s’évanouir, se réfugie dans le milieu des artistes madrilènes où il rencontre une faune baroque et déjantée qui va l’entraîner dans des aventures rocambolesques où l’auteur va laisser libre cours à son imagination débordante pour mettre en scène la rivalité qui oppose un poète doué mais miséreux à un arriviste qui rêve de faire carrière dans la littérature quitte à utiliser les méthodes les moins recommandables. Un gros, un grand roman, foisonnant de créativité et de personnages tous plus étonnants le uns que les autres, une véritable immersion dans un monde à la limite du fantastique.


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