Mammuth
Réalisé par : Benoît Delépine et Gustave Kervern
Avec : Gérard Depardieu, Yolande Moreau, Isabelle Adjani, Miss Ming
Durée : 1h32
Il a quelque chose d’unique ce Mammuth.
Quelque chose de beau, de touchant.
Oscillant entre rire et désespoir, cherchant l’humour dans les situations les plus noires, sous un jour poétique. Coûte que coûte.
Mammuth c’est un homme et sa moto. C’est Serge Pilardosse. 60 ans et retraité, lancé sur les routes au guidon de sa moto pour retrouver ses attestations d’emplois manquantes.
Mammuth, c’est un road-movie à l’image crade (dans le fond et la forme), la quête d’un homme partis à la recherche de son passé.
C’est aussi un inventaire sans concession de la connerie humaine.
Une galerie, une fois n’est pas coutume chez le duo Grolandais, de personnes laissées pour compte, de marginaux et de gros cons.
Avec en filigrane cette question plus dérangeante qu’elle n’y paraît, a quoi s’est résumé notre vie ?
Chez Pilardosse, c’est évident, au travail. Marié, sans enfant,cassé par ses boulots divers et variés et par une connerie de jeunesse.
Le gaillard semble pataud, déconnecté, lunaire. Un peu comme si le monde, une fois la retraite arrivée, le considérait de facto comme un vestige du passé. La scène de la boucherie au tout début est on ne peut plus explicite. Le choc entre une génération qui bossait parce qu’elle aimait (un peu) ce qu’elle faisait, et celle d’une génération désabusée qui ne bosse finalement que pour toucher le SMIC.
Le Serge affronte tout, placide. Une administration incompréhensible, des ex-patrons retors (la scène chez le viticulteur aussi drôle que moralement violente), des cons finis (l’homme de la discothèque), sa famille, et finalement sa propre vie et ses fantômes.
Car l’homme est hanté. Hanté par une erreur de jeunesse. Le fantôme, c’est ici Isabelle Adjani, dont les apparitions sont autant de moments de grâce et de mélancolie. C’est aussi ce qui permet finalement à notre Mammuth d’avancer. De faire le tri.
Mais l’attraction principale de ce film, outre de retrouver une partie de l’esprit libertaire du Groland, c’est Gérard Depardieu lui-même.
Tout simplement énorme, dans tous les sens du terme. Il trimballe son immense carcasse, sa bedaine décomplexée, comme s’il portait le monde sur ses épaules. Il en impose.
Il est aussi sobre, juste. Ici, pas d’excès, de déviations ogresques. Depardieu est soft. Les cheveux longs et gras, les rides sur le visage (lui-même fatigué), il est au final d’une douceur, d’une légèreté infinie.
Serge Pilardosse est peut-être tout simplement son plus beau rôle depuis très longtemps.
Autour de lui gravitent également Isabelle Adjani, bien sûr, mais aussi Yolande Moreau, fantastique en femme aimante et dont l’accent et les mimiques déclenchent instantanément les rires (cette scène pas si surréaliste que ça du serveur vocal).
On retrouve aussi Benoit Poelvoorde, en gros ahuri chasseur de trésor, Bouli Lanners, Philippe Nahon, Siné, et des habitués des films de Kervern et Delépine, dont Miss Ming. Elle aussi touchante et dérangeante en nièce à côté de la plaque.
Mammuth est un mélange fort. Un mélange où derrière l’humour noir (plus ou moins trash car on rit ici de tout : du paricide, de l’inceste, etc…) et gras, apparait un profond désespoir et une grande humanité. Un tableau d’une société devenue tellement absurde, qu’elle semble à jamais irrécupérable.
Un mélange dans lequel on retrouve aussi cette poésie surréaliste dont les auteurs sont fans (en même temps que de l’art brut, cf la maison de la nièce et ses inquiétants assemblages de poupons.) et qui dans les moments ou elle s’exprime pleinement, donne au film de grandes bouffées d’air et de liberté .
Alors certes ce n’est pas une comédie à la Camping 2. C’est une comédie acerbe, en même temps qu’un drame, c’est une histoire d’amour et un film libre.
Une histoire ordinaire peuplée de gens extra-ordinaires.
Une histoire sur la vie tout simplement.
Une histoire belle, et qu’il serait vraiment dommage de rater.
PS: Merci à Niko06 d’avoir organisé le concours et grâce à qui j’ai pu découvrir le film.