Heaven’s gate
Version courte: 1980
Version longue: 1989
Michael Cimino
Avec : Kriss Kristofferson, Christopher Walken, Isabelle Huppert, John Hurt
Découvert trop jeune, lors de sa ressortie en salle en version longue, La porte du paradis m’avait profondément ennuyé, et j’en avais surtout retenu des scènes de danse interminables et la nudité d’Isabelle Huppert. Devenu alors pour moi film maudit personnel en plus de film maudit tout court, je ne l’avais jamais revu que par fragments plus ou moins longs. Le DVD de la version courte traînait chez moi depuis des années, et j’ai fini par retrousser mes manches et regarder ces 2h23 de version « courte » en ayant bien à l’esprit l’abjection cinéphilique d’une telle démarche, puisque nul n’est censé cautionner le charcutage de ces affreux incultes de saloperies de capitalistes de studios de merde.
Une fois ceci posé, on conviendra que cette version courte est déjà en soi un excellent film, et que son insuccès n’est sûrement pas dû au dit charcutage. La porte du paradis n’est tout simplement pas un film facile d’accès, et même lorsque l’on en a les clés, le plaisir immédiat est faible. Mais La porte du paradis est un film qui reste, un film auquel on pense encore les jours suivants, un film qui marque ! Et foin de toutes ces histoires de budget colossal dépassé, foin de l’échec commercial du film, foin de l’ego démesuré du réalisateur, je suis heureux et même très heureux que quelqu’un à Hollywood ait eu les coudées franches pour mettre autant de pognon et de figurants pour reconstituer une cérémonie de remise de diplôme à Harvard, introduction merveilleusement belle avec ces valses en cercle, son esprit si merveilleusement hors western et ses illusions sur les idéaux de la jeunesse. Je suis content que le réalisateur ait cru nécessaire de finir son film sur un bateau (c’est toujours cher les scènes nautiques) sans nécessité narrative, je suis content que les immigrants arrivent par milliers sur le toit des trains, en rang de marche telle une diaspora géante, en contradiction avec une phrase entendue à plusieurs reprises dans le film « 125 hommes, mais ça représente quasiment tous les hommes du conté ! ». Je suis époustouflé par les reconstitutions des villes, qui n’ont pas ce syndrome de la jaunisse de toutes les reconstitutions des films d’aujourd’hui, et j’apprécie immensément ce parti pris de réalisme qui ne confond pas naturalisme et crasse immonde sous déluge de boue et de dents pourries, jusqu’à la nudité d’Isabelle Huppert qui est une vraie nudité de vraie femme filmée avec pudeur et non pas une nudité à la Megan Fox filmée avec moultes esthétismes léchés. Et pour finir, j’aime cette lenteur, ce parti pris des dialectes et cette musique d’Europe centrale. Leone était un italien qui rêvait d’Amérique, Cimino était un américain qui rêvait d’Europe.
Les acteurs sont bons, à part Kris Kristofferson que je n’ai jamais vraiment pu apprécier après son interprétation grasse du menton de Billy The Kid dans Pat Garret et Billy The Kid. Les personnages sont tous ambivalents, le tueur Christopher Walken en tête, qui louvoie entre amour et fidélité à ses patrons, John Hurt, torturé entre les idéaux de sa jeunesse et les réalités de sa classe, Kris Kristofferson, Marshall qui ne semble pas vouloir s’impliquer dans la lutte. La violence est assez rare mais elle est dure, on se souvient longtemps du trou dans le bide de cet immigrant qui se confond avec la bidoche sanguinolente du bœuf qu’il était en train de dépecer illégalement. La bataille finale, loin d’être une révolution cathartique, montre les bons se faire laminer, les femmes mourir, les blessures atroces (avec un écho – involontaire ? – à une scène d’Allons z’enfants sorti la même année) et la cavalerie intervenir pour sauver la vie… des méchants. Comme une réponse dérangeante au rêve américain !
Magistrales, les morts épiques de certains personnages réinscrivent le film dans le cadre du western de convention, alors que les préoccupations amoureuses d’une femme ne sachant quel homme choisir nous en avaient un peu artificiellement sorti. En tout cas, dans cette version de 2h23, le prologue à Harvard et la scène de bal en patins à roulettes m’ont parus insupportablement courts, et il me tarde désormais de revoir la version longue !