Le Mal de Mère (# 10)

Par Sandy458

Vos « aurevoir » ne sont pas les miens.

Pour te dire « aurevoir », je n’ai pas voulu suivre  les convenances.

Déjà à l’époque, ce n’était pas dans ma conception des choses alors, sacrifier à  la mise en scène habituelle n’a pas été mon choix. 

Je respecte le besoin de ceux pour qui une cérémonie est nécessaire, elle marque ce qu’on nomme le début du travail de deuil, elle permet de rendre un dernier hommage, entouré des siens, unis dans une douleur qui sera tenace dans le temps puis qui fera place à l’apaisement.

Pour avoir assisté à quasiment tes derniers instants en être incarné sur cette terre, j’avais déjà la sensation que cette enveloppe charnelle froide n’était plus toi.

L’avait-elle d’ailleurs encore été lors de ces derniers moments de maladie ?

Tu étais bien plus qu’un être statique, privé de ses membres, de ses gestes, de son souffle mais jamais de sa lucidité fine et de son essence humaniste.

A son envol, ton esprit avait ouvert la serrure de ta cage physique et avait laissé en guise de signature, un sourire paisible, qui illuminait ton visage désormais immobile pour l’éternité.

C’est la dernière image que j’ai eu de toi et la seule que j’ai voulu graver dans mon cœur. Je ne voulais pas que le film d’une cérémonie rituelle et religieuse soit un de mes supports de souvenir et se mêle à ce que tu avais tant voulu me transmettre pour plus tard, pour quand tu ne serais plus là pour me guider. Tu as été contrainte de me lâcher la main trop tôt mais tu as pris garde de laisser un long fil invisible pour continuer à nous relier.

Je les ai haïs car ils n’ont pas voulu que je te touche une dernière fois avant le départ de ta dépouille. Un dernier baiser, un dernier tête à tête pour se promettre de se retrouver ailleurs – qui sait ?-, ils me l’ont volé. Ils n’ont pas compris que je refusais leur cérémonie car elle ne signifiait rien pour moi, pour nous.

Le cercueil autour duquel chacun se presse… la cérémonie religieuse où on plonge dans ses souvenirs et sa tristesse… le cimetière où s’alignent les pierres qui finissent par oublier les noms et les dates… la descente dans la fosse… les fleurs… on recouvre de terre… « Poussière, tu redeviendras »… les condoléances… les embrassades mouillées… les lieux qui se vident… tu te retrouves debout dans une flaque de larmes comme un imbécile et la vie reprend son cours sauf que tu as loupé une ou deux marches et que tu salement amoché au passage.

« Le plus dur est à venir, on est là si besoin, il ne faut pas hésiter, ce sont toujours les meilleurs qui partent en premier, si jeune en plus… ».

C’est ce qu’ils voulaient.

A la suite de la cérémonie, on m’a raconté les allées du Père Lachaise tellement noires de monde que les retardataires ne pouvaient plus trouver accès.

De parfaits inconnus, des proches aussi, se massaient entre les pierres tombales et se dévissaient la tête pour suivre le déroulement de la cérémonie. Pour une fin de mois de septembre, le temps était encore clément.

Où étaient ces gens lorsque nous étions seuls à nous débattre avec le quotidien trop lourd ? Où étaient-ils, après, lorsque nous nous sommes retrouvés absolument isolés avec de gros soucis tant moraux que matériels ?

Où étaient donc ta famille qui, si elle a bien fait acte de présence pour la cérémonie, a déclaré que « les cimetières ça fiche le bourdon, il ne fallait pas trop compter sur une visite après… » ?

La dernière fois que j’ai croisé ta mère – ma grand’mère donc – elle m’avait largement oubliée. Il faut croire que tout le monde ne doit pas être capable de tisser un fil de vie…

Alors, je le redis bien haut : leurs « aurevoir »  ne sont pas nôtres, il nous faut des bonjours quotidiens.

Des francs, des honnêtes, des bonjours réels et plein de vie, de sève qui bouillonne et de sourires qui pétillent.

Bonjour à la vie, à tes petits enfants, aux arbres et aux êtres visibles et invisibles, à la connaissance, à la curiosité, au vent qui nous porte et nous emporte aussi.

Parce que tout ne peut pas se finir avec la pose d’une pierre froide en granit.

Alors, pour tout cela et pour bien plus encore  « Je t’aime, maman » suffira.