Lion Feuchtwanger, éd. Belfond,
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Lion Feuchtwanger, né en 1884, est issu d'une famille de la bourgeoisie juive de Bavière. Il connait en 1923 la gloire en publiant Le juif Süss, roman historique dans laquelle il dénonce l'antisémitisme. Les nazis en détourneront plus tard le sens pour en faire une arme de propagande. Exilé dès 1933 en France, l'écrivain, pacifiste militant, vit pendant six ans, « heureux comme Dieu en France » à Sanary-sur-mer avec d'autres intellectuels allemands jusqu'à ce que ses vieux démons le rattrapent. Il est en 1940 incarcéré au Camp des Milles près d'Aix en Provence où le régime de Vichy retient les ressortissants d'Europe centrale, ennemis comme partisans du nazisme. C'est de cette période d'internement que traite Feuchtwanger dans ce récit autobiographique.
Il traite d'abord de cette violente confusion qui s'est emparée d'un monde plongé dans les ténèbres : « je sais que personne sur cette terre, fût-il l'homme d'état le mieux informé, ne peut connaître le pourquoi, le comment et le but de cette guerre. » D'où cette réflexion d'Alexandre Adler dans la préface du livre qui juge ce récit « étouffant comme du kafka ». Le récit de ses faits et gestes dictés par les puissances du moment est ponctué de lumières rétrospectives qui sont autant de profondes réflexion sur l'écriture, la mémoire, l'angoisse de l'être pris dans la tourmente, en vérité la condition humaine qui est le sujet propre de la littérature. Et puis dans ce trajet labyrinthique, l'auteur dresse, non sans quelques traits saillants d'humour, les portraits de ces hommes qu'il a côtoyés, des fonctionnaires embarrassés, des gendarmes désolés, des soldats impavides, des détenus solidaires et généreux, l'humanité en somme réduit dans un espace clôt et qui dans sa promiscuité, sa perte d'intimité, se révèle comme nulle part ailleurs. C'est, outre les humiliations vécues dans ce moment d'absurdité, cette proximité unique avec l'Homme qui marque comme le montre en général la littérature concentrationnaire. Ce n'est certes pas le récit d'une déshumanisation ainsi que le mène Primo Levi dans Si c'est un homme mais celle d'une « banalité du mal » selon l'expression d'Adler. Car ce camp d'internement même s'il y règne aussi la fange et le dégoût n'est pas celui d' Auschwitz et sa cohorte de cruautés mais plutôt celui d'un groupe d'êtres en perdition. Un naufrage en somme où l'homme s'agrippe à l'homme pour exister et ne pas sombrer dans le non-être. Ainsi c'est « le diable de la négligence, de l'inadvertance, (...) de l'esprit de routine, c'est-à-dire ce diable que les Français appellent le je-m'en-foutisme » qui a dominé dans ces heures et ces torpeurs de l'Histoire. La France, sa terre de refuge s'est enlisée dans une indifférence meurtrière, substituant à l'idée de la défaite, celle beaucoup plus terrible de la collaboration. Lion Feuchtwanger parvient finalement à s'évader de ce camp de regroupement et se réfugie aux Etats-unis où il publie en 1942 cette autobiographie qui se révèle être un précieux témoignage historique et une vraie leçon de vie. Les éditions Belfond réédite Le Juif Süss simultanément à la parution du Diable en France.