L’Inde de Michelet, Lamartine et Vigny
« L’Inde, plus voisine que nous de la création, a mieux gardé la tradition de la fraternité universelle. Elle l’a inscrite au début et à la fin de deux grands poèmes sacrés, le Ramayan, le Mahabharat, gigantesques pyramides devant lesquelles toutes nos petites œuvres occidentales doivent se tenir humbles et respectueuses. Quand vous serez fatigué de cet Occident disputeur, donnez-vous, je vous prie, la douceur de revenir à votre mère, à cette majestueuse antiquité, si noble et si tendre. Amour, humilité, grandeur, vous y trouvez tout réuni, et dans un sentiment si simple, si détaché de toute misère d’orgueil, qu’on n’a jamais besoin d’y parler d’humilité. ... [En Inde,] tant de guerres, tant de désastres et de servitudes, n’ont pu tarir la mamelle de la vache sacrée. Un fleuve de lait coule toujours pour cette terre bénie... bénie de sa propre bonté, de ses doux ménagements pour la créature inférieure. »
Certes, Michelet est romantique, mais il ne romantise pas dans le vide : il exprime mieux que ne le ferait la voix de l’érudition les lignes de force de cette terre d’où coule « un torrent de lumière, le fleuve de Droit et de Raison ». On ne saurait passer sous silence son émouvante apologie du premier poème de l’Inde, par laquelle il commence sa Bible de l’humanité :
« L’année 1863 me restera chère et bénie. C’est la première où j’ai pu lire le grand poème sacré de l’Inde, le divin Râmayana. ... Tout est étroit dans l’Occident. La Grèce est petite : j’étouffe. La Judée est sèche : je halette. Laissez-moi un peu regarder du côté de la haute Asie, vers le profond Orient. J’ai là mon immense poème, vaste comme la mer des Indes, béni, doré du soleil, livre d’harmonie divine où rien ne fait dissonance. Une aimable paix y règne, et même au milieu des combats une douceur infinie, une fraternité sans borne qui s’étend à tout ce qui vit, un océan (sans fond ni rive) d’amour, de pitié, de clémence. J’ai trouvé ce que je cherchais : la bible de la bonté. Reçois-moi donc, grand poème !... Que j’y plonge !... C’est la mer de lait. »
Son fidèle ami Edgar Quinet partage cette admiration : « L’Inde a fait plus haut que personne ce qu’on peut appeler la déclaration des droits de l’Être » (seraient-ils plus intéressants que ceux de
l’homme
Lamartine suit la même veine lorsqu’il s’exclame, à propos de la philosophie hindoue « C’est l’Océan, nous se sommes que ses nuages. ... La clef de tout est aux Indes». Dans son Cours familier de littérature, il raconte ses échanges avec quelques orientalistes, et se souvient « du saint vertige qui me saisit la première fois que des fragments de cette poésie sanscrite tombèrent sous mes yeux » : « La grandeur, la sainteté, la divinité de l’esprit humain sont les caractères dominants de cette philosophie dans la littérature sacrée et primitive de l’Inde »
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