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La chambre et l’oiseau Première partie :     C’était une...

Publié le 02 mai 2010 par Mmepastel

La chambre et l’oiseau

Première partie :

C’était une petite chambre, avec un lit simple, une table de chevet, une commode et une chaise. Léo, bien qu’y vivant depuis sept ans, ne l’avait pas vraiment investie. Tout au plus avait-il ajouté une photo d’un groupe de rock découpée dans un magazine et un sticker d’une marque de guitare au-dessus de la table de chevet. Il fallait un peu de temps pour les remarquer. Sur la commode quelques livres, deux trois revues, un briquet. Ce qu’on voyait d’abord c’était la couleur pâle des murs, un jaune-orangé strié de fines rayures en relief qui donnaient à la pièce une atmosphère cossue et ouatée. Surplombant le lit, trônait une reproduction d’un tableau souvent vu mais dont l’auteur restait mystérieusement oublié, représentant une jeune femme romantique tenant un oiseau inerte dans ses mains, en attitude de supplication ou de prière. Dans un coin, près de la fenêtre aux voilages orangés trop denses, un petit cadre contenait une carte postale verticale qui expliquait les significations du prénom Léo en lettres compliquées ; en-dessous, appuyée sur la chaise, une guitare.

Cette chambre avait été conçue au départ, dans l’esprit des propriétaires, Lili et Pablo, comme la chambre d’ami que tout foyer réussi possède. Leurs trois filles avaient convolé, ils s’étaient retrouvés au début de leur vieillesse avec un appartement spacieux fraîchement acquis, non pas luxueux, mais rustiquement confortable. Cette chambre alors avait reçu la décoration sobre qui lui était due, le grand placard avait été transformé en petit coin de toilette avec petit lavabo, serviette à main et savon d’invité.

Mais la première personne qui l’avait occupée n’était pas une amie et était arrivée sans prévenir. La sonnette d’entrée avait retenti en plein milieu d’une nuit de septembre. Lili, debout avant même que le son ait fini de se répercuter sur les murs obscurs de l’appartement, avait attrapé son peignoir et l’avait passé en commençant vaguement à trembler. La main sur la porte d’entrée, parfaitement éveillée, elle était prête, comme si elle avait toujours attendu un moment comme celui-là. Elle regarda par l’oeil de la cloison et vit l’image tassée de sa fille Irène de dix-huit ans. Elle le savait. Elle lui ouvrit sans attendre, tendue et efficace. Irène pleurait, mais elle ne semblait pas blessée. Son sac de voyage à moitié fermé en disait plus long qu’elle.

Lorsqu’enfin elle fut couchée sous le tableau de la dame à l’oiseau, sous l’édredon lilas, enroulée autour du centre de gravité qu’était nouvellement devenu son ventre, Lili et Pablo restèrent comme timides, hésitants, dans leur cuisine sans beaucoup parler. Des phrases défintives et répétitives ricochaient sur les murs rutilants à intervalles réguliers, ponctuées de silence gonflés. Ils s’étaient tordu les mains, Lili avait récuré le plan de travail, Pablo avait bu trop de café.

Deux ans plus tard, Irène avait refermé la porte de cette chambre sur la pointe des pieds, posé son sac dans le couloir pour retenir la poignée de ses deux mains. Il fallait éviter tout bruit, il dormait enfin. Elle avait repris son sac et était partie. Il fallait bien qu’elle fasse sa vie.

(Suite demain.)

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La chambre et l’oiseau by Mme Pastel est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d’Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France

Peinture d’Edward Hopper.

Musique de Yann Tiersen avec Claire Pichet : Summer 78, album Goodbye Lenin.


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