Hitchcock et ses stars

Publié le 02 mai 2010 par Abarguillet

         

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En 1962, alors qu'il était au faîte de sa gloire, Hitchcock ne cachait pas sa nostalgie : il regrettait la disparition des stars. James Stewart était devenu trop âgé pour être à nouveau la vedette d'un de ses films, Cary Grant se retirait après le succès de La mort aux trousses, afin de quitter le public sur une image séduisante. Mais plus grave encore était le problème féminin, puisque derrière l'oeuvre de Hitchcock personne n'ignore le slogan qui coure : " cherchez la femme ".
S'il avait eu beaucoup de peine à pardonner à Ingrid Bergman de l'avoir quitté pour Rossellini, Hitchcock espérait encore récupérer sa chère Grace Kelly, désormais princesse de Monaco, pour tenir le rôle de Marnie dans Pas de printemps pour Marnie, adaptation d'un roman de Winston Graham, dont il avait acheté les droits spécialement pour elle. L'arrangement était à deux doigts de se conclure, lorsque le général de Gaulle, irrité des avantages fiscaux consentis à la Principauté, lança une attaque afin de remettre en cause ce statut privilégié. Le prince Rainier - pour ne pas briser ses liens avec la France - se vit dans l'obligation de composer et Grace renonça définitivement au cinéma pour rester aux côtés de son mari dans cette période difficile.

        

Un film amoureusement conçu pour une actrice et tourné par une autre, cela ne nous évoque-t-il pas quelque chose ? Oui, bien sûr et la coïncidence ne parait pas fortuite. Dans Sueurs froides, l'actrice que nous voyons sur l'écran est une remplaçante. Alors que le rôle avait été taillé sur mesure pour Vera Miles, c'est Kim Novak qui se voyait chargée de l'interpréter après que la star enceinte se soit désistée et, curieusement, le thème de la substitution constitue le sujet du film : un homme toujours épris d'une femme qu'il croit morte, s'efforce, lorsque le hasard le remet en présence de son sosie, de recréer la première image. N'est-ce pas comparable au metteur en scène qui, par personnage interposé, oblige une actrice de remplacement à imiter l'actrice initialement choisie ? Il y a de cela...

  

         

Oui, les stars manquaient cruellement à Hitchcock en ces années 60/70. Il les avait côtoyées jusqu'alors avec amour, leur avait confié des rôles magnifiques, leur avait permis d'exprimer les nuances les plus subtiles de leur personnage et contibué à magnifier leur talent. Pratiquant un cinéma de situations qui nécessitait, pour être crédible, des natures fortes, le maître, plus qu'aucun autre metteur en scène, avait besoin d'elles. Il avait en horreur les scènes inutiles, les surcharges. Il n'était pas l'homme des digressions et des petits détails ; il entendait que la personnalité de l'acteur soit suffisamment convaincante pour qu'il n'ait pas l'obligation d'alourdir sa narration de gestes superflus.
Pour autant, il ne parvint pas toujours à avoir les interprètes qu'il souhaitait. En Angleterre, le rôle titre  de son film Agent secret, ayant été refusé par Robert Donat, il  dut se rabattre sur John Loder. A Hollywood, il se vit imposer des comédiennes assez médiocres comme Priscilla Lane. Mais il sut également renverser la vapeur et tirer profit de certaines défections. Pour Le procès Paradine, quand Alida Valli remplaça Greta Garbo, qui ne tenait nullement à faire son come-back sous les traits d'une meurtrière, il employa au mieux la beauté et l'intelligence de la vedette italienne. Pour Marnie, après le refus de la princesse Grace, il donna sa chance à Tippi Hedren. Il l'avait remarquée dans un spot publicitaire et il entreprit de faire de ce mannequin une véritable actrice. Il en fut assez satisfait pour lui confier, à deux reprises,  le rôle principal dans Les Oiseaux ( 1963 ) et Pas de printemps pour Marnie ( 1964 ) . Si bien qu'à la fin de sa carrière, il réalisa pleinement sa vocation de Pygmalion.

        

Ce qui intéressait Hitchcock dans ses personnages féminins était en tout premier lieu la métamorphose. L'héroïne hitchcockienne, au long d'un film, avait le devoir de se révéler à elle-même, à son partenaire, aux spectateurs. Le metteur en scène attendait de son interprète qu'elle lui montre des émotions qu'elle possédait sans le savoir, mais qu'il avait su discerner avant elle. Dans le cas de Joan Fontaine, qu'il avait choisie pour être Mme de Winter auprès de Laurence Olivier dansRebecca, il cherchait à utiliser le charme maladroit de la débutante de 21 ans qu'elle était alors. Il avait le souci que l'être coïncide au plus près à son modèle. Il aspirait à ce que l'interprète projette sur l'écran un type humain réunissant à un haut degré des caractères distinctifs, que l'être et l'image ne fassent qu'un.

Pour conclure, j'ajouterai que de 1925 à 1976, les films de Sir Alfred ne furent pas seulement des oeuvres de pur divertissement qui échapperaient aux turbulences et aux drames de leur époque, comme pourrait le laisser penser une approche trop succinte. Les positions politiques du cinéaste se sont manifestées tout au long de cette filmographie remarquable, celui-ci n'ayant jamais dissimulé ses convictions personnelles. Anti-nazi dès les années trente, interventionniste pendant la guerre, anti-communiste dans les années soixante/soixante-dix, Hitchcock, anglais naturalisé américain, était un libéral humaniste dont les certitudes ne varièrent point. A travers ses films, c'est le jeu des appartenances indécises, des exclusions sociales qui apparait sous les masques successifs de ces familles déchues, de ces espions mondains évoluant dans des pays totalitaires, où il se plaisait à situer l'action, et pour cause ! C'était là des lieux privilégiés où s'entrechoquaient les influences et les perversions les plus  séditieuses.
Avant de se livrer sur le terrain métaphysique, l'aventure hitchcockienne s'enracine d'abord dans l'histoire de son temps et comme les personnages ambigus et complexes sont ceux qui retinrent en priorité l'attention du réalisateur, il arriva que Sir Alfred souffrit de l'incompréhension de ses contemporains. Il en est presque toujours ainsi des novateurs.

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Grace Kelly   James Stewart   Ingrid Bergman