L’Eglise, telle une bonne mère, est bien avisée de nous donner sept semaines pleines de Temps pascal. Nous avons bien besoin de ce temps prolongé pour méditer ce que le Christ nous enseigne par sa passion et sa résurrection. Les plantes ont besoin de passer du temps en pleine terre pour absorber progressivement la lumière du soleil et la transformer en nourriture. De la même manière, nos âmes ont besoin d’une exposition prolongée à la lumière de la révélation du Christ, pour pouvoir absorber les grâces que le Seigneur veut nous donner.
Aujourd’hui, particulièrement, il nous rappelle la structure fondamentale de la vie chrétienne : la Croix et la Résurrection. Nous avons déjà rencontré ce thème au cours des derniers dimanches, mais Dieu veut que nous y revenions.
Saint Luc, l’auteur de la Première Lecture tirée des Actes des Apôtres, résume la prédication de Paul et Barnabé en une seule phrase :
« ils les exhortaient à persévérer dans la foi, en disant : "Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu." »
En d’autres mots, ce n’est que par la Croix que nous pouvons connaître la Résurrection ; ce n’est que par l’amour dans le renoncement que nous pouvons faire l’expérience de la joie chrétienne.
Dans la deuxième lecture, saint Jean nous transmet le même message, mais en sens inverse. Il décrit le ciel, là où les saints vivent en communion parfaite avec Dieu. La caractéristique principale de cette vie est que Dieu « essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort n'existera plus ; et il n'y aura plus de pleurs, de cris, ni de tristesse ; car la première création aura disparu. »
La première création, c’est celle que nous voyons de nos yeux. C’est notre vie ici et maintenant en tant que membres de l’Eglise encore en chemin. Cette vie-là passera ; elle ne durera pas toujours. Mais pour l’instant, elle est une "vallée de larmes", de douleur et de deuil.
Ceci est pour nous une grande consolation. Cela veut dire que nous n’avons pas à faire semblant de tout avoir. Cela veut dire que Dieu sait que la vie n’est pas facile, et tant mieux. Car c’est dans les difficultés de la vie qu’il veut nous enseigner son "art de vivre". Notre société est tellement obsédée par le plaisir, le confort, la santé, la hantise de rester jeune et les apparences que même les chrétiens ont tendance à l’oublier, et facilement nous nous laissons aller à penser que la seule vie qui vaille la peine d’être vécue est une vie sans douleurs.
L’exemple des saints est là pour nous rappeler qu’en fait, c’est le contraire qui est vrai : que ce n’est que par la Croix que nous pouvons atteindre la Lumière.
Vous avez peut-être déjà entendu parler de Marthe Robin. Le premier livre, ou, du moins, l’un des premiers livres qui ait été écrit sur elle après sa mort en 1989, est intitulé : « La Croix et la Joie ».
Née en 1902 ; elle lutte dès l’âge de 16 ans contre une maladie provoquant des douleurs intolérables, qu’on diagnostiquera en 1942 comme étant une "encéphalite épidémique". Alitée, elle perd peu à peu l’espoir d’une guérison. Le 29 mars 1928, elle dit :
« Pour moi, Pâques me trouvera dans mon lit, dans mon pauvre lit où j’y suis si mal, où je m’écorche tant ; enfin la vie est courte, une autre plus longue et plus heureuse nous attend ; quelle douce consolation, n’est-ce pas ? »
Avec la souffrance physique, il y a la solitude à assumer :
« Mes journées s’écoulent uniformément monotones et semblables, étant les trois quarts du temps seule… »
Quelques mois après, la maladie progressant, Marthe connaît le découragement :
« Les étapes de mon existence ont été écrites sur un tableau noir. La vie s’est chargée de m’enlever mes illusions et de détruire mes plans. » (18 août 1928)
Mais voilà que, un jour de décembre cette année-là, Marthe Robin vit, au moment de l’accueil du Sacrement des Malades un moment décisif à partir duquel tout va s’éclairer et prendre un sens. Cette maladie qui aurait pu la conduire à une lente et sûre destructions de sa personne à tous les niveaux devient, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le tremplin vers une nouvelle vie qui va se construire autrement :
« Après des années d’angoisses, après bien des épreuves, physiques et morales, j’ai osé, j’ai choisi le Christ Jésus… Le Cœur Sacré de Jésus en croix est la demeure inviolable que j’ai choisie sur la terre. »
Marthe a donc trouvé la réponse à la question du sens de son existence de malade. Sa vie continuera de se dérouler dans la maladie, mais désormais intégrée et acceptée dans la joie :
« Tout mon être accepte la souffrance, la presque entière incapacité physique plus généreusement, plus amoureusement toujours ; et dans un bien plus grand abandon, plus de détachement, plus de renoncement à tout. Néanmoins, combien la pauvre nature a de la peine quelquefois à constater son entière impuissance et une infinité de choses qui font comme le canevas de la vie. Mais on demeure quand même très calme, on sourit avec joie et avec amour, malgré les douleurs qui étouffent, malgré les déchirements qui torturent et les souffrances lancinantes, malgré les désolantes épreuves et l’amer dégoût, quand on aime Jésus et qu’on l’aime d’amour pur. »
La vocation de Marthe Robin est hors du commun, mais son "canevas" est celui de toute vocation chrétienne, y compris celle de chacun de nous : la Croix et la Résurrection ; par la Croix vers la Lumière.
Aujourd’hui l’Eglise nous rappelle encore une fois que c’est le canevas de la vie chrétienne. On peut se demander pourquoi. D’une part, c’est un enseignement que nous avons tendance à oublier très facilement, et nous avons donc bien besoin de ce rappel. Mais d’autre part, Dieu veut que nous ne laissions pas passer cette occasion, et que nous n’oubliions pas encore cette fois.
Saint Luc écrit dans les Actes que Paul et Barnabé rendaient visite aux diverses communautés chrétiennes pour affermir le courage des disciples et pour les exhorter à persévérer dans la foi. Dieu ne nous demanderait-il pas de faire ce qu’ont fait Paul et Barnabé, et à affermir le courage de quelqu’un qui ploie sous le fardeau de sa croix ? Nous vivons tous avec des personnes qui ont besoin d’être encouragées par l’amour de Jésus.
N’est-ce pas pour cette raison, entre autres, que l’Eglise a choisi le passage de l’Evangile de ce jour dans lequel le Christ nous rappelle son "commandement nouveau" :
« Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. »
Aujourd’hui le Saint Esprit nous envoie, comme il a envoyé Paul et Barnabé, pour affermir et exhorter ceux qui sont peut-être en train de flancher. Il nous donnera pour cela la force et la sagesse mêmes du Christ dans la Sainte Communion. Promettons-lui d’en faire un bon usage, pour répandre au moins auprès d’une personne cette Bonne Nouvelle que la voie vers la Résurrection passe par les douleurs de la Croix.