Quand les enfants retrouvent seuls leur chemin.
Pourtant ce documentaire bouleversant Fleurs de Sureau (Grand Prix 2008 du Festival du Réel Paris) ne parle pas du conte du Petit Poucet mais s’appuie sur La Fée du Sureau, d’Andersen, dans son ouverture dont vous avez l’extrait ci-dessus (en Allemand hélas, mais voici ce qui y est dit très exactement puisque c’est une citation du conte) :
“Le printemps se déroula, puis l’été, et l’automne et l’hiver ; mille images se reflétaient dans les yeux du garçon et, dans son coeur, toujours la petite fille chantait : “Tu n’oublieras jamais tout ça !”“
En voyant ce documentaire réalisé par Volker Koepp en 2007, on comprend pourquoi il met cette citation en exergue de son film : il n’a filmé quasiment que les enfants d’un village moribond dans l’enclave de Kaliningrad, entre la Pologne et la Lituanie, autrefois Prusse-Orientale prospère. Mais depuis, le travail s’est raréfié, et le village s’est vidé de ses habitants, à l’exception de quelques pêcheurs ou de quelques fermiers, et la nature, omniprésente dans le film grâce à des plans fixes sublimes, a reconquis cette zone venteuse. Sous nos yeux se mêlent désolation des habitations et beauté brute d’une nature sauvage.
Le documentariste a donc volontairement écarté de son film les adultes (à quelques très rares exceptions, édifiantes) et a laissé place à l’enfance, filmée comme un pays en soi, et à ses habitants : les enfants. Et ceux-ci ont beaucoup à dire, certains semblent ravis de parler, comme si on ouvrait des vannes, d’autres sont plus timorés, intimidés, mais leurs regards, leurs sourires sont tout aussi parlants. Et tous s’accordent pour dire que leur vie n’est pas terrible. Pas de gémissements ni de plainte, un simple constat. Une d’entre eux cache ses larmes pour évoquer son accident de voiture dû à un adulte, qui n’est que le début d’une vie balisée de souffrances, mais se reprend vite pour se raconter sans ciller. Malgré le très jeune âge de certains, leur lucidité tranche comme un couteau. “Dans ce quartier, tout le monde est alcoolique” ou ”Mes parents sont alcooliques, ils ne vont jamais voir mes frères (placés dans un foyer), ils préfèrent l’alcool à leurs propres enfants.” La vétusté des intérieurs, un plan sur un regard flou complètent le propos.
Mais ce qui domine largement dans ce film, c’est la vitalité de ces enfants comme livrés à eux-mêmes. Ils jouent, grimpent aux arbres pour en faire tomber les fruits, se pendent inlassablement à une balançoire de fortune, se roulent dans les hautes herbes. Comme dans un conte, où seuls et solidaires à la fois, ils auraient retrouvés, naturellement, les voies de la joie et du bonheur, la puissance de l’imagination, l’espoir que donnent les rêves. Les leurs sont simples, être heureux, avoir une maison, un chien, un cheval, des amis.
Et plus que tout, ne jamais ressembler à leurs parents.
Contrairement aux contes de fées, on ne sait pas ce qu’il advint par la suite. Que deviennent Frantsa, Jonas ou Marina ? Mais, nous, adultes occidentaux vivant dans une certaine opulence, prenons une belle claque au passage et une leçon d’espoir qui pourrait se résumer par “n’oublie jamais la force et les rêves de l’enfance” par des enfants tour à tour graves et rigolards, entre deux bagarres de boules de neige.
Merci Arte. Rediffusion le 07/05 à 10h05.