A Londres, une série d'assassinats sur des jeunes femmes sordidement étranglées, après avoir été violées, jette la panique, alors qu'un pauvre bougre ( ancien pilote qui a sombré dans l'alcoolisme ) vient de perdre son boulot de serveur de bar. L'idée d'aller revoir sa femme, dont il est divorcé depuis cinq ans et qui tient une agence matrimoniale, lui sera fatale, car un nombre consternant d'indices imprévus va le signaler comme l'accusé parfait. Hitchcock nous brosse dans cet avant dernier opus de sa filmographie l'exemple même de l'erreur judiciaire avec une suite de rebondissements inattendus et de clins d'oeil à ses oeuvres précédentes. Petit détail qui ne manque pas de piquant : le sadique utilisait toujours l'une de ses cravates pour étrangler ses victimes mais, sur la dernière d'entre elles, il oubliera de retirer son épingle et, en voulant la récupérer, laissera suffisamment de traces pour être confondu. Réglé comme une machine bien huilé au service d'une mise en scène stylisée, Frenzy ne nous laisse pas souffler une seconde et mêle avec juste ce qu'il faut de cynisme, horreur et humour. Nul mieux qu'Hitchcock ne savait pimenter ses films des ingrédients les plus relevés ; je crois vraiment que dans le genre on n'a jamais fait mieux.
Après un long séjour aux Etats-Unis et la mise en scène de deux films d’espionnage moins réussis ( Le rideau déchiré en 1966 et L’étau en 1969 ), le maître revient au début des années 70 dans son pays natal : l’Angleterre. Tandis qu’il retrouve les lieux de son enfance, ainsi que les studios qu’il a arpentés au début de sa carrière, le cinéaste semble reprendre plaisir à filmer avec ce Frenzy des personnages traversés par des ambivalences infinies et piégés par des relations ambiguës avec autrui...
A partir d’un script efficace d’Anthony Schaffer, Hitchcock met tout son savoir-faire technique et son expérience au service de cette énième histoire de meurtre. Jetant un oeil amusé sur une société un rien guindée, le maître anglais semble s’auto-parodier avec un grand sens de la jubilation. Baignant dans un réalisme noir, Frenzy nous fait frémir à coup sûr, mais également sourire grâce à des dialogues savoureux et des situations à la lisière de l’absurde. Ainsi, le tueur à la cravate, incarné avec conviction par Barry Foster , est-il à la fois inquiétant et ridicule. Par ailleurs, le cinéaste ne se prive pas, au passage, d'égratigner la police britannique. Tel un adolescent irrévérencieux, le vieil Alfred semble gagné par une seconde jeunesse et signe un film uniquement fondé sur le plaisir qu'il a à renouer avec son passé. Grâce au brio de sa réalisation - on n’est pas prêt d’oublier son magnifique plan séquence dans l’escalier - il nous entraîne dans cette histoire, certes classique, mais constamment dynamitée par des notations originales et très british. Même si quelques années plus tard son Complot de famille ne sera pas dénué d'intérêt, on peut considérer Frenzy comme le véritable testament cinématographique de ce génie du 7e Art.
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Alfred Hitchcock, une filmographie de l'anxiété