01 mai 2010
L'historien Mohammed Harbi et les islamistes
Après celles de Mimouni, Saïd, Naïr, Allouache, Sansal, Laroui, etc., (exposées sur ce blog), voici les positions de Mohammed Harbi, historien qui n'est plus à présenter, sur l'islamisme (l'intégrisme musulman) et les islamistes. Les opinions de l'historien ont le mérite d'être claires. Avis aux sympathisants de gauche et aux Beurs tentés par le charme contestataire de Hassan El Banna.
" La finalité de l'islamisme est explicitement politique. Il peut s'analyser comme une idéologie engendrée par le processus de modernisation et de sécularisation et non pas s'inscrire seulement dans une logique religieuse. " (p. 3)
" Si le langage religieux apparaît comme le principal véhicule de la contestation, les responsabilités en incombent aux élites modernes formées dans le sillage de la colonisation. "(p. 4)
" Et si l'on veut comprendre le développement du racisme anti-féminin chez les islamistes, il est moins nécessaire de se référer au Coran qu'à ce phénomène nouveau qu'est l'emploi des femmes. "(p. 4)
Dans les pays islamistes, ni le haut, ni le bas de la société n'ont jamais connu la liberté. Les Etats méprisent le droit et érigent l'arbitraire en norme. La responsabilité des régimes en place est à cet égard écrasante " (p. 6)
" Evoquant le cas algérien assimilable par bien des aspects à ceux de l'Iran et du Soudan, Samir Naïr a qualifié à juste titre de " réaction de type autoritaire et néofasciste, " parce que s'appuyant sur la grande masse des déclassés et des sans-statut ", il vise à un contrôle idéologique et surtout moral de la société ", et à intimider ses adversaires par une intervention coercitive directe.L'islamisme comme fascisme " (p. 5)
" L'exemple de l'Iran est significatif de ce point de vue. L'Etat clérical prive les citoyens de toute possibilité de choix au nom d'une vérité qui se veut unique. Le spectre du despotisme hante à nouveau les esprits. " (p. 5)
" [suite du passage précédent] Gardons-nous cependant d'unifier arbitrairement les islamistes et d'en faire les acteurs d'un complot orchestré. Les sociétés sont diverses et l'islamisme n'a pas partout la même fonction. Par exemple, l'existence de l'islamisme en France renvoie à une crise identitaire d'une autre nature. Les citoyens français de confession musulmane ont à tort ou à raison le sentiment d'être exclus de la citoyenneté. A ce sentiment qui est récent, ils protestent en revendiquant une autre identité et une autre appartenance " (p. 5)
" Mais leur démarche [des islamistes] procède aussi d'un souci tactique et utilise le double langage. [...] Tout semble indiquer que les opposants islamistes reproduiront, demain, les méthodes qu'ils condamnent aujourd'hui. Leur silence sur les atrocités en Iran, au Pakistan et au Soudan comme sur la persécution des bahaïs ne laisse planer ce sujet aucun doute sur le respect de l'autre. " (p. 6)
" Il arrive que le discours islamiste nous choque et nous indigne [...], mais nous ne voulons ni l'ignorer, ni le censurer. Que tout le monde sache et que personne ne puisse dire un jour : " Je ne savais pas ", " on déforme le visage de ma communauté " " (p. 6)
" Que l'homme politique se fasse théologien ou le religieux homme politique, la démarche reste la même. Au bout du chemin, il y a le monopole de la vérité, l'oppression et la répression. Il n'est qu'une manière de rompre ce cercle vicieux, c'est la séparation de la sphère politique et de la sphère religieuse, l'acceptation du pluralisme et de la liberté inaliénable de l'individu. L'institution de la laïcité n'oblige pas les croyants à renoncer à leur foi, et fait des citoyens d'un même pays (musulmans, juifs, chrétiens...) des êtres égaux. Fermer la voie à cette éventualité, c'est mettre en danger l'existence de nombre de pays arabes et musulmans et les condamner à des déchirements et des luttes civiles (...) " (p. 7)
" L'islamisme n'est pas un. Mais les mouvements islamistes ont un trait commun : l'indigence de la pensée. Leur popularité tient moins au rayonnement de leurs idées qu'à la volonté des classes populaires d'abolir les conditions inhumaines qui leur sont faites. Loin de représenter un quelconque renouveau de la religion musulmane en tant que telle, l'islamisme exprime le désarroi des générations nouvelles, des étudiants et des marginaux qui désespèrent de l'avenir. Il reste un puissant facteur de déstabilisation mais rien n'indique qu'il est porteur d'un projet de société crédible. " (p. 7)
Où l'historien s'engage
" Autant nous pouvons dialoguer et lutter avec les croyants qui acceptent le principe de la liberté de croyance et combattent ceux qui ne le reconnaissent pas, en dénonçant, au premier lieu, les crimes commis aujourd'hui au nom de l'islam, autant nous nous opposerons à tous ceux qui, armés de l'épée de Dieu, rêvent de renouveler le despotisme et de régenter tous les détails de notre vie " (p. 7)
Extraits de Mohammed Harbi, L'islamisme dans tous ses états, Paris, Editions Arcantères, 1991.