Dictionnaire de la Mort, (s/d) Philippe Di Folco - Éditions Larousse, collection In Extenso
Premiers paragraphes de la notice Cimetière - Marc Villemain
Eloignement progressif
L'enracinement progressif de la chrétienté fit évolue les choses différemment. Ainsi le bas Moyen Age enterrera-t-il ses saints directement dans les églises érigées au cœur des villages ; et l'on inhumait les habitants au plus près des saints (ad sanctos), afin de leur ménager un accès au paradis plus aisé. Pour des raisons d'hygiène, l'Église reviendra toutefois sur cette pratique et déplacera l'espace funéraire dans l'aître, terrain qui jouxte l'église. L'Occident chrétien médiéval a ceci de remarquable que les vivants coexistent avec leurs morts. Le cimetière s'apparente alors à ce que nous appellerions aujourd'hui un "lieu de vie", où la communauté poursuit à loisir ses activités traditionnelles : foires, salons, marchés, spectacles, divertissements ; l'activité des vivants se déploie dans un espace funéraire socialement surqualifié. Cet espace et les modalités de son occupation vont se transformer en fonction de l'évolution de l'institution ecclésiale. Le caractère sacré du lieu funéraire définitivement établi à la Renaissance, il sera sanctuarisé, clôturé physiquement et symboliquement protégé du regard des vivants et de leur commerce.
Concomitamment, apparaîtront les premières sépultures individualisées et les premières décorations funéraires, reléguant à jamais les fosses communes usuelles. Dans le courant du XVIIIe siècle, les cimetières déserteront à nouveau les centres d'habitation vers les périphéries. Les progrès de l'hygiénisme sous-tendent ce déplacement géographique, mais il faudrait également évoquer le vitalisme optimiste de l'époque et les progrès de la laïcité. En France, devenues terrain public communal par une loi de 1881, les sépultures sont, dès la Révolution, gérées par les autorités municipales laïques.
Un espace paysagé
Les premières considérations esthétiques vont faire leur apparition au XIXe siècle, dans le souci d'adoucir l'image de l'espace funéraire ; ce mouvement s'accompagne de l'essor du romantisme noir, volontiers sépulcral, et de son compagnonnage lyrique avec la mort. C'est de cette époque que l'on peut dater la naissance du cimetière comme espace architectural et paysager, ainsi que le cadastrage des concessions, destinées à la location ou à la vente. La végétation y apparaît de plus en plus luxuriante, pour apaiser le caractère dramatique des visites. Le XXe siècle poursuivra et amplifiera ce mouvement. Aussi la plupart des nouveaux cimetières sont-ils désormais construits à l'extérieur des villes, et font état de projets qui entrent de plain-pied dans les plans d'aménagement et de développement urbains. ... (Suite dans le Dictionnaire de la mort ; deux sous-sections : Encombrement ? et Dématérialisation ?)