Jacob Isaakszoon van RUISDAEL (Haarlem, c.1628/9-1682)
Le champ de blé, c.1660.
Huile sur toile, 46 x 56 cm, Lille, Palais des Beaux-Arts.
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Le temps passe si vite qu’on a presque du mal à s’apercevoir de sa fuite. L’air de rien, voici déjà le centième billet publié sur Passée des arts, et sans être particulièrement adepte des célébrations et autres commémorations, je veux néanmoins saisir l’occasion qu’il m’offre pour effectuer une manière de bilan et envisager quelques perspectives.
Toutes les observations, qu’elles soient dues aux auteurs de sites ou aux scrutateurs de la vie de la Toile, convergent vers un même constat : la belle époque des blogs semble définitivement révolue, l’incroyable floraison qu’ils ont connue se trouvant sérieusement mise à mal, entre autres, par le succès que connaissent les réseaux sociaux. Je ne vais pas instruire ici le procès de Facebook, d’autant que je m’y suis inscrit l’été dernier et que je participe donc, même si c’est plutôt parcimonieusement, au mouvement d’ensemble qu’il induit. Ceci n’empêche néanmoins pas d’être lucide sur les ravages que provoque un outil dont les maîtres-mots sont l’immédiateté et une certaine superficialité, comme ces conversations de salon dont la valeur se résume au plaisir de l’instant et que le moindre souffle dissipe comme fumée. Je reste toujours extrêmement dubitatif, quelque justification que l’on m’en donne, à voir apparaître sur ce type de réseau des notations qui ne renvoient qu’à l’ego de leur auteur (X étale sa confiture, Y son intimité familiale ou sexuelle) et ne regardent finalement que lui, sans parler du fameux bouton « j’aime » qui, en un clic, semble dédouaner certains d’exprimer par ailleurs une réflexion un tant soit peu construite. On est ici, à mes yeux, dans une logique absolument conforme à celle de notre époque, celle d’un « vite consommé, vite oublié » qui ne s’arrête vraiment sur rien et préfère perdre de précieuses minutes en papillonnages aussi sympathiques, sans doute, qu’ils sont finalement vains. Même si les réseaux sociaux peuvent se révéler très efficaces pour faire connaître les billets publiés sur un site, ils me semblent également décourager les débats de fond ou l’approfondissement des sujets, et ceux qui aujourd’hui déplorent la baisse de fréquentation de leurs blogs devraient peut-être se demander si l’éparpillement ne peut se révéler, à terme, un poison.
A l’opposé de cette logique de précipitation, je tente, en nourrissant Passée des arts, d’offrir à celles et ceux qui me font l’honneur de me lire un peu de lenteur. Je ne l’ai jamais caché, je ne suis pas de ces esprits brillants qui peuvent, en vingt lignes et vingt minutes, livrer des textes percutants et bien sentis ; j’ai besoin de recul pour digérer ce que j’écoute, ce que je vois, ce que je lis. Un billet naît rarement avant une bonne semaine de maturation et quelque effort que je fasse, la concision est visiblement une qualité que je n’aurai jamais. J’ai conscience de demander autant de concentration à mes lecteurs que ce que la conception de ce que je leur propose m’en a coûté. Néanmoins, s’il est évident que bien des choses demeurent encore imparfaites sur ce site, notamment la place trop réduite qu’y occupe la littérature, le pouls de Passée des arts, comme le tactus de la musique de la Renaissance, demeurera, je crois, plus tranquille qu’endiablé, invitant celles et ceux qui posent leur regard sur ce qui y est proposé à prendre le temps de s’arrêter, de humer, de goûter. S’abstraire du quotidien, de la course du monde comme il va, tourner son regard vers ce qui nous élève, sont, sans que nous le sentions toujours, des actes de résistance. Comme le cavalier de Ruisdael regarde le champ de blé transfiguré par le soleil, comme le poète chante l’immuable retour des saisons, notre densité d’Hommes se tient aussi, je crois, dans notre volonté de conserver, quand bien même elle contient une part terrible, cette conscience du temps qui passe.
Je remercie toutes celles et tous ceux qui, par leurs commentaires et leur fidélité, font vivre Passée des
arts. Sans vous, ce site n'existerait pas.
A bientôt.
Jean FERRAT (1930-2010), Les saisons (1972). Paroles et musique de Jean Ferrat.
1972-1975, A moi l’Afrique – La femme est l’avenir de l’homme. 1 CD Temey. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.