Tous ces mets et ces nouveautés arrivent progressivement sur la table des Grands et des religieux, toujours curieux d’expérimenter de nouvelles variétés botaniques ; mais dans les provinces françaises, la nourriture demeure essentiellement régionale : Bruyerinus Campéjus ( La Bruyère Champier ) écrit dans » le De Re Cibaria « , paru à Lyon en 1560 :
« Dans l’Artois et dans le Hainault, la nourriture ordinaire est du laitage et du beurre, parce qu’on peut y engraisser aisément cet animal ; ce sont des pâtisseries qu’on exelle à divercifier et qui forment le principal honneur des tables.
De tous les cantons de France, il n’en est aucun où l’on soit porté à l’ivrognerie. Non seulement les hommes, mais les femmes même s’y font une gloire de boire beaucoup et ce défaut augmente à proportion qu’on avance vers la Flandre autrichienne, comme il diminue à mesure qu’on pénètre dans la Picardie.
» La Normandie se nourrit spécialement de pommes et de poires, cuites ou crues. Ces deux espèces de fruits lui fournissent aussi sa boisson. Cependant, elle tire en même temps beaucoup de poissons de la mer qui la borde et de nombreux troupeaux de ses pâturages.
» En Bretagne, il y a une opposition frappante entre la haute et la basse partie. La boisson est le vin du pays et la nourriture est faite ed fruits, de pâtisseries, de poissons tant de mer que de rivières.
» Chez les Gascons, tout le monde, hommes et femmes, nobles et roturiers, riches et pauvres, mangent de l’ail, et de l’oignon. Cet assaisonnement infect, qu’on fuit partout ailleurs, est pour eux un ragoût délicieux, qu’ils emploient dans tous leurs aliments.
» Pour l’abondance, le bon goût et la variété des fruits, la Provence ne le cède à aucun autre canton du royaume. Le peuple consomme peu de viande, excepté dans les montagnes et le long des côtes, où le chevreau est d’usage. Mais il mange beaucoup de poissons, soit frais, soit salé, parce que la méditerranée lui en fournit beaucoup.
Il estime par dessus tout les olives préparées et les câpres. Chez lui, on sert sur la table comme des mets exquis, des figues et des raisins, frais ou secs, et même des citrons, limons et poncires, qui, par ailleurs, ne sont regardés que comme un assaisonnement. Cette manière de vivre approche celle des Espagnols. Les mets s’y assaisonnent avec de l’huile, car on n’y connait presque pas le beurre. Les vins y sont forts et rigoureux ; les perdrix rouges et fort grandes, mais elles ont un fumet très agréable qu’elles doivent aux aliments dont elles se nourrissent.
» Les Bourguignons passent pour les hommes les plus gourmands de toute la France. C’est chez eux qu’est en vogue particulièrement ce proverbe : » Mieux vaut bon repas que bel habit « . Aussi dit-on communément qu’un Bourguignon a les boyaux de soie.
» Les provinces intérieures du royaume ont leurs mœurs plus douces que les autres. Elles se nourrissent aussi beaucoup mieux, et la vie en général, y est à peu près uniforme partout. C’est du bœuf ou du mouton, beaucoup de porc frais ou salé, du gibier, de la volaille, des fruits, toutes choses que le pays produit en abondance. On y consomme aussi une grande quantité de poissons d’eau douce et, dans le plupart des terres les seigneurs ont des étangs et des rivières « .
Les huîtres sont très appréciées. Rondelet nous dit : » On loue celles de Bretagne sur toutes les autres ; celles de Saintonge ont un goût un peu plus salé et piquant ; celles de Bordeaux sont estimées les meilleures après celles de Bretagne, entre lesquelles sont estimées celles du Médoc.
Rabelais cite celle de Bosch, c’est-à-dire de la Tête de Buch sur le bassin d’Arcachon.
En province, elles deviennent un grand luxe. Bonivard conte dans ses » chroniques » que dans les ruines d’un château de Genève, on trouva » des escailles ouytres qu’est une viande qui ne prouint poinet en ce pais ne guere pres dicy. Par quoy fault dire que les Princes y hantaient qui faisaient apporter tel les friandises, car ce nest pas viande de marchans « .
Au XVI ième siècle les anchois de Provence commencent à être connus et appréciés en dehors de cette région, mais ils sont concurrencés par ceux d’Espagne, vendus à plus bas prix.
La pêche au hareng ne se fait déjà plus sur les côtes de France ; on va le chercher en Angleterre, en Écosse et aux Orcades. Outre le hareng frais et le hareng saur, il existe le » aran bouffiiz » ou craquelot, légèrement salé, légèrement fumé, il pouvait se garder une quinzaine de jours, il n’était pas aplati dans les caques d’où son nom.
» Grandgousier était bon raillard, en son temps, aymant à boyre net autant que homme qui pour lors fust au mode, en mangeait voluntiers salé « , écrit Rabelais et il est vrai que ses contemporains faisaient grand cas des salaisons : olives colymbrades ( marinées en saumure ), cavist, forme provençale du caviar dont Pierre Belon nous dit : » >>Les œufs des esturgeons femelles ainsi salez sont nommés en leur vulgaire » caviar « , drogue qui est commune aux repas dse Grecs et des Turcs par tout le Levant » ; boutargues, dont l’évêque Quiqueran de Beaujeu écrit : » cette viande ouvre les poumons trop chargez et sans attirer l’humeur de guère loin, consume valeureusement celui qu’elle rencontre « . Le mot est dérivé de l’arabe et il s’agit » d’oeufs de muges pris tout de frais » et salés : les boutargues, dit-il plus loin, se font aussi des œufs de loups, mais elles ne sont pas si généreuses.
( à suivre …)