Le fait est qu’il faudrait trop de place pour faire un éloge exhaustif de ce qui nourrit leur lecture. Alors je préfère me concentrer sur ce qui domine les miennes : le fatalisme par rapport au malheur.
Le malheur est le poumon de la vie mexicaine, la joie est son foie et le courage son cœur. Le lecteur suit ces jeunes femmes traverser sans fléchir des péripéties qui laisseraient tant d’autres sur le carreau. Viol, meurtre, emprisonnement, misère, famine, injustice… chacune d’entre-elles passe au travers avec la désinvolture de ceux qui ne voient rien d’anormal à cela, de ceux dont le quotidien est tant nourri d’horreurs qu’il n’y a jamais eu d’autres formes de vie imaginable.
Par exemple lorsque Luba, l’une des figures de proue de Palomar, se drogue, mais se drogue au point de détruire sa jeunesse et son sublime corps de femme et son tempérament de battante qui lui permet de se sortir de tout, lorsque ce personnage que le lecteur aime et suit depuis bientôt cinq livres menace de ne plus être celle pour laquelle il a déjà tant tourné de pages, pensez-vous que la mise en scène devienne larmoyante, ou du moins dramatique. Non, pas le moins du monde. Quelques étoiles dessinées autour de sa cheville dansante et tout est dit : de cette fausse allégresse qui l'anime sous l'emprise de la drogue, de la poésie des frères Hernandez qui illustre le malheur comme d'autres le quotidien, et de ce monde trop humain où la souffrance relève toujours de l'option, mais la douleur, elle, est inévitable.
PALOMAR 1 et 2, Gilbert Hernandez, édition du Seuil, 12 euros pièces.
LOCAS 1 et 2, Jaimie Hernandez, éditions du Seuil, 12 euros pièces.