On ne peut toutefois évoquer, dans les allées du pouvoir, l’hypothèse d’un « complot » destiné à « déstabiliser » le Président de la République, ni citer comme source prétendue un ancienne Garde des Sceaux sans qu’une enquête ne soit diligentée. Celle-ci fut confiée, début mars, à la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI), le service de contre-espionnage français issu de la fusion des RG et de la DST. Selon le directeur de ce service, comme le rapporte le site Internet de France 2, la DCRI aurait travaillé sur l’affaire « jusqu’à l’ouverture de l’enquête judiciaire » ; celle-ci fut diligentée le 26 mars.
C’est dans ce contexte qu’intervient une affaire des plus surprenantes que la presse, curieusement, n’a pas souhaité couvrir, en dépit des efforts de l’intéressé pour la rendre publique. Le présent article est donc, a priori, le premier à aborder ce singulier incident.
Un jeune artiste, Mathias Durand-Reynaldo, qui signe « Coccinella » et réside dans les Caraïbes, était venu à Paris pour présenter sa dernière création. Il s’agit d’une toile de 2,05 m x 1,2 m, un pastiche en taille réelle du célèbre portrait par David, Napoléon dans son cabinet de travail aux Tuileries (1812), actuellement conservé à la National Gallery of Art de Washington.
Le peintre a voulu réaliser une œuvre « qui représente les années 2005-2010 ». Ce tableau pourrait d’ailleurs servir de couverture à un prochain tome des savoureuses Chroniques du règne de Nicolas 1er de Patrick Rambaud, puisqu’au visage de l’Empereur, l’artiste a substitué celui du Président en exercice. D’autres détails apportent à la toile une touche originale : de petites étoiles de brillance scintillent sur une épaulette de l’uniforme et la plaque pectorale de la Légion d’Honneur, en évocation de la période bling-bling ; des lunettes de soleil d’une marque bien connue remplacent les deux décorations que portait habituellement Napoléon ; une discrète tête de Mickey, en référence à une visite privée du Président à Eurodisney, pend au bas du gilet ; sur le fauteuil, à droite de la toile, repose un tome de la Princesse de Clèves ; sur les pieds de ce siège, les initiales impériales « N-N » deviennent présidentielles « N-S » ; sur la gauche, le décor a été remplacé par une bibliothèque et les drapeaux français et européen (rappel de la photo officielle qui figure dans chaque mairie) au pied desquels le peintre a fait figurer un nettoyeur haute pression désormais célèbre, dont le personnage principal tient en main la poignée-pistolet ; enfin, sur la droite, on distingue le visage souriant, le regard amusé et un bras de la première dame de France.
D’un point de vue artistique, ce portrait est une vraie réussite. Si le peintre a choisi de substituer aux couleurs originelles de David un camaïeu de gris, cette toile monochrome, à l’acrylique, est réalisée selon la technique la plus classique, la plus académique, celle des glacis, qui consiste à superposer plusieurs couches de peinture très peu chargées en pigments. Le résultat donne une profondeur, une lumière, une transparence, un fini exceptionnels, caractéristique des maîtres anciens qui l’utilisait très fréquemment. C’est aussi une véritable école de patience, chaque couche ne devant être apposée sur une précédente que lorsque celle-ci est parfaitement sèche. Peindre ainsi ne souffre pas la médiocrité ; il faut avoir atteint une belle maîtrise de son art pour obtenir un résultat probant.
La création de Mathias Durand-Reynaldo n’a donc rien d’une caricature où le trait serait forcé, ni d’une croûte de peintre du dimanche. Elle ne vise pas non plus le succès commercial, contrairement au portrait iconoclaste de George W. Bush réalisé par Jonathan Yeo auquel j’avais consacré un article en janvier 2009. Les détails en forme de clins d’œil qui y figurent font preuve d’une subversion subtile et élégante, d’un sens de la dérision malicieux, mais dénué d’outrance ; il serait difficile d’y voir une atteinte à la dignité ou à l’image du chef de l’Etat. C’est une œuvre à part entière, qui s’inscrit dans une recherche à la fois esthétique et intellectuelle que confirment d’autres peintures de cet artiste, en particulier un nu de symbolique maçonnique que j’ai pu voir, réalisé par frottis et sfumato, la technique qu’utilisa Léonard de Vinci, notamment pour la Joconde.
En avance sur son programme, et accompagné de Jessica Decap, une journaliste indépendante qui souhaitait consacrer un reportage filmé à l’événement, l’artiste décida de se rendre d’abord devant l’entrée du 30e Salon du livre, porte de Versailles. L’accueil que lui réservèrent les visiteurs français et étrangers, toutes générations confondues, fut des plus favorables, si l’on en croit le court documentaire que j’ai pu visionner. Il rejoignit ensuite le Louvre où l’attendaient quelques curieux informés de sa venue. Mathias Durand-Reynaldo n’eut toutefois pas le temps d’ôter le drap-housse blanc qui protégeait son œuvre. A peine était-il arrivé que des agents du service de sécurité du musée, visiblement très avertis, l’encerclèrent, puis lui demandèrent fermement de quitter les lieux et de ne pas découvrir sa toile. En outre, il fut intimé à Jessica Decap qui filmait la scène d’éteindre sa caméra. Pour éviter une altercation, l’artiste obtempéra. Il fit une halte devant l’entrée du Carrousel du Louvre pour tenter de présenter de nouveau son œuvre, mais, s’étant aperçu qu’il avait été suivi par « deux personnes en civil », il préféra la recouvrir et remonter la rue de Rivoli en direction de la place de la Concorde.
Ce qui l’étonna plus encore fut l’accueil de la presse, notamment télévisée, lorsqu’il se rendit dans les rédactions pour raconter sa mésaventure : on apprécia le portrait, mais on lui opposa un refus courtois, en lui faisant comprendre qu’il était inenvisageable, dans la presse française, d’aborder un tel sujet à ce moment. On lui suggéra même de s’adresser plutôt à des média étrangers… Faut-il en déduire que la concomitance de l’affaire des rumeurs et de cet incident fit hésiter les journalistes dont certains, pourtant, se montrent habituellement intéressés par de tels sujets ? C’est fort probable… et fort dommage, car ce silence s’apparenterait alors à une forme d’autocensure qui n’est jamais très saine.
Illustrations : Jacques-Louis David, Napoléon dans son cabinet de travail aux Tuileries, 1812, Washington, National Gallery of Art - Mathias Durand-Reynaldo peignant son tableau, D.R. - L’artiste présentant son tableau devant le Salon du Livre, D.R. - L’artiste arrivant dans la cour Napoléon, D.R. - L’artiste présentant son tableau devant le Carrousel du Louvre, D.R.