Lors de la cérémonie de remise des oscars, le coréalisateur arabe israélien d’Ajami, Scandar Copti, a dit ne pas « représenter Israël ». « Je ne peux pas représenter un pays qui ne me représente pas », a-t-il lancé, faisant allusion aux discriminations dont s’estiment victimes les Arabes israéliens.
Il a provoqué un tollé en Israël, plusieurs ministres lui reprochant son « ingratitude » alors qu’Ajami a été en grande partie financé par des fonds publics israéliens distribués par l’Israeli Film Fund.
Récemment, des voix se sont multipliées dans le pays pour que des critères plus stricts soient établis pour le financement public de films jugés « anti-israéliens». Katriel Schory, président de l’Israeli Film Fund, qui dispose d’un budget annuel de 5 millions d’euros, s’explique.
Pour quelle raison avez-vous défendu les déclarations de Scandar Copti ?
Même si je pense que ce n’était pas approprié de le dire à ce moment-là, je défends son droit à exprimer ce qu’il ressent, comme n’importe quel individu. Ce n’est pas lui, personnellement, qui a reçu des fonds publics, mais le film. Quand nous avons lu le script, nous avons été impressionnés par ses qualités cinématographiques. Nous avons parié sur deux jeunes réalisateurs, dont c’était le premier film, qui ont adopté une approche audacieuse en ayant recours à des acteurs non professionnels. Et nous nous félicitons de notre décision puisque le film a été nominé aux oscars.
Certains, dans la classe politique israélienne, reprochent à l’Israeli Film Fund sa politique « trop libérale » à l’égard de films jugés particulièrement critiques à l’égard d’Israël…
Le fonds n’est pas une agence gouvernementale. Depuis dix ans que j’en suis directeur, je n’ai jamais reçu un seul coup de téléphone de reproche du ministre de la Culture, pourtant ils ont été nombreux ! La force de ce pays est la multiplicité de ses voix, de ses récits, de ses points de vue. Nous croyons, contrairement à beaucoup d’autres pays de cette région, dans cette liberté d’expression, dans la liberté de nos cinéastes, qui sont extrêmement passionnés et posent de nombreuses questions. Et, oui, certaines d’entre elles sont polémiques et suscitent des controverses. Il est vrai que ces derniers mois, en raison notamment de l’isolement diplomatique d’Israël, la société israélienne tend à se replier sur elle-même, à ruminer le nationalisme et la rancœur. Malgré cela, les cinéastes israéliens continuent de toucher le public à l’étranger et de montrer une autre face d’Israël. La liberté d’expression et de création dont ils bénéficient dans ce pays reste assez unique.
Le cinéma est-il un des derniers bastions d’une gauche israélienne très affaiblie ?
Ce n’est pas tout à fait exact d’un point de vue strictement politique. Les cinéastes israéliens d’aujourd’hui sont en effet beaucoup moins engagés que ceux de la génération précédente, la génération de la fin des années 60 qui manifestait, qui était habitée par une mission. Ces dix dernières années, les films israéliens sont beaucoup plus introvertis, centrés sur des histoires personnelles, des sentiments. Ce qui est vrai c’est que, grâce à son financement public, le cinéma israélien est resté un espace de liberté qui permet aux cinéastes de réaliser leurs rêves, de dire ce qu’ils ont à dire. La télévision, victime de la frilosité ambiante, est régie par des actionnaires. Ajami n’a pas reçu un shekel d’une chaîne de télévision israélienne : un premier film, en arabe, et avec des acteurs non professionnels, c’était trop risqué !
Comment expliquez-vous le succès des films israéliens à l’étranger, notamment en France ?
Il y a quelque chose de très fort dans les histoires racontées, cette façon qu’ont les Israéliens de toujours vivre sur le fil du rasoir. De nombreux films racontent des histoires personnelles, celles des cinéastes, comme Lebanon ou Valse avec Bachir. C’est un pari difficile à cause du risque de l’absence de distanciation mais, quand ça marche, cela va droit au cœur du public. Le cinéma européen va rarement aussi loin dans cette manière de se livrer. Les films israéliens reflètent aussi l’agitation de la société israélienne, toujours les nerfs à vif, exposée à de multiples menaces.
Paru dans Libération du 7 avril 2010 par Delphine Matthieussent