A l'occasion du passage de Belinda Cannone à l'émission For intérieur (2 décembre 19-20h), Ronald Klapka nous adresse un petit exercice d'admiration empruntant le parcours éditorial de l'essayiste et écrivain.
" La cécité est une arme contre le temps et l'espace ; et notre existence, une seule et immense cécité (...). La cécité est le principe dominant du cosmos ; elle permet à des choses une coexistence qui serait impossible si ces choses pouvaient se voir ".
Si à juste titre on ne croit plus que la littérature puisse dire ce qui doit être, on peut continuer à penser que l'écrivain, par le travail de la fiction et de la langue, par le déploiement de l'imaginaire, par la voix qu'éventuellement il porte dans la cité , ouvre des possibles pour la pensée et la sensibilité. Ainsi prend-il sa part dans l'aventure humaine en perpétuant le processus civilisateur, en s'engageant.
Dans cet exergue, Belinda Cannone cite en premier lieu Elias Canetti, ensuite, ailleurs, précise la nature de l'engagement en écriture aujourd'hui.
Et de fait, le sien, tout particulièrement. A savoir :
Des fictions.
Des essais.
Des travaux " savants "
Documentons :
Cinq romans depuis 1990 : Dernières promenades à Petropolis (Seuil, 1990), L'Île au nadir (Quai Voltaire, 1992), Trois nuits d'un personnage (Stock, 1994), Lent Delta (Verticales, 1998), L'homme qui jeûne (L'Olivier, 2006)
Les essais L'Ecriture du désir, etLe Sentiment d'imposture, en 2005, tous deux parus chez Calmann-Lévy, et récemmentLa bêtise s'améliore chez Stock.
Les études, de nature plus universitaires : Philosophies de la musique, 1752-1789, La Réception des opéras de Mozart dans la presse parisienneMusique et littérature au XVIIIe siècle (1793-1829), tous deux chez Klincksieck, en Que sais-je, etNarrations de la vie intérieure, l'un et l'autre aux PUF (à cela ajouter cette contribution : La fiction, éveil des possibles, à" Quand y a-t-il fiction ? " que la revue Agone offre au téléchargement)
Pour compléter ce portrait par les livres, ajoutons que Belinda Cannone enseigne la littérature comparée à l'université de Caen, elle en confié les raisons au magazine Psychologies, comme une mise en œuvre de l'essai sur lequel elle est interrogée. On mesure la difficulté de l'exercice : comment débusquer l'esprit de sérieux le plus sérieusement du monde sans se prendre au sérieux, d'où sans doute le recours à la diversification des voies de l'échange avec le lecteur. " Je " m'engagerai en invitant de ce point de vue, à ne pas se priver de cette multiplicité d'approches qui donnent " d'élargir les piquets de sa tente ".
Lisons Roger-Pol Droit, comparant l'essai de Belinda Cannone sur Le sentiment d'Imposture (voir aussi cette recension dans l'Humanité) avec celui d'Antoine Vitkine
Alors, quels sont les masques ? Et où sont les visages ? Si dissemblables qu'ils soient, ces deux essais enseignent en commun qu'on ne saurait oublier, en matière de complots et d'impostures, le rôle décisif que joue l'imagination. Comme on sait, elle est peu sensible aux arguments rationnels. [...]. Ceux qui nourrissent un sentiment d'imposture l'alimenteront incessamment de leurs rêveries. Ce travail de l'imaginaire a bien entendu un fort impact sur la réalité, collective ou individuelle. Pour changer la situation, c'est donc sur l'imaginaire qu'il faudrait agir. C'est une autre paire de manches.
Le dithyrambe de Joël Schmidt dans Réforme avance que Un homme qui jeûne a relevé ce défi. Citons, c'est trop beau :
Par sa capacité, dans cette chute progressive, où l'imaginaire se déploie jusqu'au plus inventif et bientôt jusqu'à de physiologiques délires, à nous faire partager les amours de son personnage, innomé, avec Lucie et Myriam, sous le voile symbolique de quelques tableaux mythologiques où Zeus étreint et séduit, comme des échos à la fois déculpabilisants, enrichissants et rédempteurs. Jamais dans mes expériences de critique, je n'ai lu sous la plume d'une femme une telle prescience des sentiments, des sensations et de la sensualité masculine, une telle architecture des corps qui s'aiment dans une sorte de pudeur acharnée à ne point transgresser, malgré la jouissance, un évident puritanisme.
Trop beau ? Non, ne sombrons pas dans le sentiment d'imposture, et positivons, la bêtise (la mienne) s'améliore (et à cette fin le " voyage intérieur " des plus nécessaires). Je note au passage les (salutaires) hésitations de lecture que provoquent les titres des essais de Belinda Cannone, ni pièges ni chausse-trapes, mais leçons d'éveil. Qui en voudrait quelques preuves pourra trouver quelques articles de l'auteure plutôt réjouissants pour la pensée : en tout premier lieu celui-ci qui invite précisément à " réenchanter la pensée ", à propos de Henri Raynal, Retrouver l'Océan - l'enchantement et la trahison, éditions du Murmure, qui se conclut particulièrement de cette façon :
La langue de Raynal est un tel enchantement qu'elle nous convainc de cette évidence que la pensée, comme la matière, ne réalise sa puissance que dans une forme belle.
" Partout le secret est présent.Nous habitons un temple.
Cosmos: le temple de l'Énigme. "
Vous en voulez d'autres ? vous avez très certainement raison. Alors voici :
En exergue était évoqué un article convoquant Saramago, Pessoa et Canettii : Feintise et cécité
Sur le même site, visuelimage, un entretien sur les Foires d'art avec Patrick Barrer .
Mona Chollet sur Périphéries a une rubrique " ", j'y verrai/s volontiers Belinda Cannone.