La première fois que la nuit est tombée, par le Théâtre du Menteur

Publié le 29 avril 2010 par Onarretetout

François Chaffin nous fait explorer trois chemins, celui des anges, celui des prophètes, celui des intimes. Les anges ne se posent pas de questions, ils attendent en admirant la lumière (« Que la lumière soit ! », est-il écrit dans la Bible). Les prophètes ne se posent pas de questions, ils n’ont qu’une vérité et l’assènent de toutes les façons possibles : par la prière, par la publicité (« Vous avez aimé la création ? vous aimerez la fin du monde ! »), par la ceinture d’explosifs. Les intimes, les femmes et les hommes, se posent sans cesse des questions. Ils vivent dans la peur et dans le désir.

Un bruit d’ailes, un interrupteur qui décide s’il fera jour ou pas, et le micro qui hurle les slogans.

Le décor est le même que celui de Crocodile OPA, puisque nous n’avons qu’un monde. Mais nous sommes parfois dans des entre deux. Ici les anges n’annoncent rien (ange vient pourtant d’un mot qui signifie messager), ils sont diablement attirés par les hommes et leur agitation. Sauf le dernier, un ange perché sur un piédestal qui guette, attend un signe. Que se passera-t-il quand il n’y aura plus qu’un ange, qu’un être humain ? Les prophètes, eux, ne rêvent que d’être entre eux. Tous sont traversés par la grande question du sexe, de la différence sexuelle, de la relation au corps.

A la fin, il y a cette interrogation qui clôt tous les spectacles : « C’était bien de venir jusqu’ici pour vous raconter ça… Est-ce qu’on va se revoir ?... C’était bien ce temps qu’on a passé ensemble… »

Le temps, celui des humains sans dieux.

Dans son Adieu – Essai sur la mort des dieux, Jean-Christophe Bailly cite Nietzsche : « Dieu est mort. Mais tels sont les hommes qu’il y aura encore pendant des millénaires des cavernes dans lesquelles on montrera son ombre… Et nous…, il faut encore que nous vainquions son ombre. » (Le Gai Savoir)
Autre citation dans cet essai : un récit de Plutarque extrait des Dialogues pythiques, « Sur la disparition des oracles ». Il s’agit de l’annonce qu’un navigateur, passant près de l’île de Paxos, fut invité à faire au monde : « Le Grand Pan est mort ». Jean-Christophe Bailly termine son essai par cette phrase : « Tandis que le bruit du vent dans les feuilles des chênes de Dodone, pour obscur qu’il fût, demeurait, en tant qu’oracle, adressé à l’homme, parce qu’un dieu venait dans ce bruit, aujourd’hui, sous ce bruit qui demeure et qu’aucun dieu ne tient, plus rien ne nous est adressé : c’est ce qui est, c’est ce qui vient, qui fait oracle. Monde et oracle sont une seule et même chose. »
Et Pandora (toujours de Jean-Christophe Bailly), envoyée par les dieux, s’adresse aux hommes « non comme messagère mais en (son) nom propre ». Et leur dit : « … ce souvenir de nous que vous êtes quand vous dormez, cette étendue qu’il ne fallait pas remplir, ces chemins qu’il ne fallait pas tous prendre. (…) Vos paroles n’ont plus assez d’espace entre elles pour pouvoir vous parvenir et elles se perdent comme les oripeaux d’un habit devenu trop grand pour vous – un habit, le langage, qui avait besoin de silence et de vérité. »


Et, ailleurs, comme le dernier homme du spectacle du Théâtre du Menteur, Gérard Depardieu déclare : « Le jour où je serai tranquille, peut-être que je voudrai éteindre la lumière. »