Double rébellion poétique
Aujourd’hui, je commets un péché en publiant quelque chose
qui se rapproche d’une traduction. Je n’aurais sans doute pas le temps d’améliorer
mon texte. A défaut de rendre le côté poétique de ses paroles et de sa musique, j’espère restituer un peu de leur sens
originel.
Voici donc un texte où transparaît d’une manière éclatante l’engagement
politique du poète kabyle. Pendant les années 1990, certains accusaient Matoub d’être
naïf en politique, voire « manipulé ». Ils citaient volontiers ses
anciens textes à connotations anti-arabes ou racistes. Mais le moins qu’on
puisse dire, c’est que Matoub a évolué vers plus de perfection et d’ouverture, aussi
bien dans son art que dans ses conceptions politiques. J’en veux pour preuve ce
poème qui rejette explicitement la « double barbarie » : celle
du régime qui a fait de l’Algérie « une terre inculte » et celle de l’intégrisme
dont le cerveau « est étourdi par la faim ».
Les années qui se succèdent n'ont pas apporté de détente
Pour que s'attendrisse celui dont le cerveau est étourdi par
la faim
Ce drapeau qu'on a conservé jalousement
Pour lequel tant de veuves ont sacrifié leurs maris
Nos yeux répugnent désormais à le voir
Le soleil de 1980 s'est implosé
Les villages [qui l'ont suscité] se sont tassés
A force de trahisons répétées
Nous n'accepterons pas d’être dupes
Dans ce qui n’a pour nous aucun intérêt
Ô vous qui avez fait du pays une terre inculte
Vous avez élevés [les intégristes] et veillé sur leur
croissance
Lorsque nous avons cherché nos origines
Aujourd'hui, entre deux voies, l'espace est brouillé
Dans un chemin vaseux nous sommes nous coincés (?)
Ô vous qui portez des galons étoilés sur les épaules
Vous avez paralysé le cours du temps
Et enfanté des vipères
Si vous cherchiez des remèdes
Vous auriez porté attention à ceux que la santé a abandonné
Mais vous avez laissé le fléau [intégriste] se répandre et multiplier
ses fruits
Jusqu’à les exporter vers des pays étrangers
Ô vous qui cautionnez l’inadmissible
Demain sera une réalité
Le pays se relèvera de sa fièvre
Même si le Rendez-vous [de rendre des comptes] vous épargne
Et le coup du miroir
Dites-moi si vous l'avez prévu celui-là
Le déshonneur se déversera [un jour]
Et détruira en série les bases que vous avez si
bien construites.
Matoub Lounès