Réflexion sur l’avant-projet socialiste

Publié le 29 avril 2010 par Argoul

L’avant-projet du PS ne sera présenté aux militants qu’en fin de mois, mais il court déjà les rédactions depuis sa présentation du 20 avril et sa discussion au politburo du 27. Ce qui frappe est l’absence d’analyse de la réalité sociale et un projet vague de protection bienveillante posée comme la « création d’une nouvelle civilisation » - pas moins. De quoi soupçonner certaines arrières-pensées politiciennes.

Quelle est la réalité sociale en France ?

La priorité est l’emploi, notamment des jeunes qui ne trouvent une stabilité que vers 30 ans et des seniors qui sont écartés dès 45 ans. Que dit le projet sur ces besoins primaires ? – Rien. Sinon de créer encore plus de fonctionnaires (avec quel budget ?) pour assister encore plus les mal-éduqués, les chômeurs, les vieux. Ce n’est pas traiter les causes mais seulement les symptômes, dans la lignée d’un modèle d’Etat-providence à bout de souffle. Nous sommes dans le soviétisme de gestion bureaucratique de la société, pas dans le souffle innovateur ! 

Le déclassement social est réel et l’immigration fournit un bouc émissaire populaire. Que dit le projet pour contrer ce délitement progressif de la société ? – Rien. Sinon que de continuer dans la même voie d’ouverture des frontières sans conditions, de niveau éducatif adapté toujours aux plus faibles, de fournir des prestations sociales sans aucun devoir – toujours plus « de nouveaux droits » sans contrepartie – et de faire des incantations rituelles à la « solidarité » et au « modèle républicain ». Du blabla…

L’industrie fout le camp, soit par faillite pour inadaptation aux changements de la demande ou pour coûts de production trop élevés, soit par délocalisation pour aller où sont les marchés. Que propose le projet ? – Rien. Que les vieilles recettes des années 1980, recyclées des idées du XIXe siècle sur les coopératives ouvrières ou l’intervention de l’Etat partout et en tous lieux (imposer la politique salariale non politiquement correcte, imposer les dividendes non réinvestis, imposer le droit à la formation, piloter l’investissement depuis un pôle d’énarques centralisés à Paris…). On a vu ce que cela a donné, pourquoi des fonctionnaires seraient-ils de meilleurs entrepreneurs ? Ce n’est ni leur formation, ni leur tempérament, ni leur rôle de se substituer à l’initiative privée. Le sous-investissement est évacué, la mal-éducation laissée de côté, les réglementations pléthoriques pas remises en cause, l’attractivité du pays non analysée (et pourtant, elle existe).

Le souci de l’environnement croît dans la population. Là, le projet est un peu plus intéressant, mais la création d’artisans liés aux consommateurs ne peut qu’être marginal. Le principal argument des consommateurs est qu’ils perdent la liberté de choisir ce qu’ils veulent manger. Les « paniers » bio saisonniers ne peuvent rester que des compléments et pas créer une nouvelle économie. Pour le reste, on renvoie à l’Europe (où les ténors socialistes sont absents) ou à… la fiscalité, crème de jouvence qui va tout régler.
La nouvelle société du « care » (terme qui sacrifie à l’anglophonie par ailleurs honnie comme « libérale » !) nous propose le modèle Disney : tout va bien dans le meilleur des mondes possibles si chacun pratique l’épouillage mutuel…N’est-ce pas un peu court pour des singes responsables ? Il n’y a guère que Michel Rocard en économie et François Hollande sur les impôts qui aient quelques idées de bon sens. Mais seront-ils entendus dans la période de démagogie électoraliste qui s’ouvre ?

Quelle place la France peut-elle prendre en Europe et dans le monde ?

La France est insérée dans l’Europe et dans le monde par une multiplicité de traités. Rappelons que ces traités ont été négociés et acceptés à la fois par la droite et par la gauche, dans une belle unanimité (Sarkozy a suivi Delors pour faire se mouvoir l’Europe). Dès lors que l’on accepte ces liens, quelle place prend-t-on dans le monde ? Fabius les a refusé, on sait, et que va faire le PS avec cette opposition interne non réglée ? En Europe, nous n’avons de poids que si nous sommes alliés aux Allemands ; dans le monde, notre place est faible mais elle sera d’autant plus respectée que notre pays réussira.

Les Allemands ont choisi de s’insérer dans la division mondiale du travail en privilégiant leurs exportations. Nous, que faisons-nous ? Imite-t-on le modèle allemand ou décide-t-on de transformer le pays en vaste musée de retraités et de fonctionnaires, avec attractions touristiques d’artisans producteurs enserrés dans le terroir ? Ce qui manque à l’avant-projet socialiste est une analyse concrète de la crise du capitalisme actuel. La dénonciation de ce qu’on a suivi - sans analyse réelle - est facile ; la critique constructive beaucoup moins.

Le capitalisme anglo-saxon a explosé, bon, mais veut-on (peut-on ?) revenir au vieux capitalisme rhénan ? A-t-il encore un quelconque avenir face à la Chine, à l’Inde, au Brésil…? Le partage capital/travail part de bonnes intentions, mais qu’en est-il réellement dans le cadre mondialisé ? Le nouveau capitalisme qui marche n’est-il pas chinois et allemand, c’est-à-dire clanique, national et compétitif ? Nous aurions aimé des mesures précises et une analyse de leurs avantages et inconvénients plutôt que la litanie des fodrai.

Quant à la critique constructive des « phares » delapensédegôch que sont les 35 h et la retraite à 60 ans, où sont-elles ? Cela reste-t-il compatible avec le nouveau projet socialiste dans l’économie d’aujourd’hui ? Sont-ils un boulet pour l’économie ? Sont-ils adaptables ? – Pas un mot. Le projet reste dans le déni (cépanou) ou dans la tactique du bouc émissaire (« contre » le libéralisme). Tout le reste n’est que vague resucée du projet Ségolène Royal (qui a été refusé par les électeurs en 2007).

Au total, le projet veut une société en nage : bornage pour les traités, patronage pour les entreprises, maternage pour les salariés et hivernage pour les vieux… Ce n’est pas cela qui fera un gouvernement…

Les arrières-pensées politiciennes

Le préjugé socialiste est que le parti a été frustré de son « légitime » (?) accès à la présidence de la République en 2002 et 2007. Sarkozy serait une parenthèse que ses erreurs feront tomber comme un fruit mûr. Brouillon, théâtral, peu persévérant, son projet de libéralisation ne correspond ni à la crise ni aux aspirations actuelles des Français. Comme si Madame Royal était moins brouillonne, théâtrale, peu persévérante…

L’alternative à gauche est donc entre l’immobilisme chiraquien (tellement populaire parce qu’il ne mécontentait personne en ne faisant rien !) et l’activisme socio-culturel jospinien où toute politique se mesurait à la dépense publique toujours plus forte, toujours en faveur dézexclus, jamais en faveur des classes moyennes et très moyennes (qui sont le cœur électoral).

Gageons que si le PS s’installe pour un quinquennat en 2012 (ce qui est loin d’être joué), nous assisterons contre lui à une montée du national-populisme, mouvement protectionniste et xénophobe qui se fait jour un peu partout en Europe, incarné entre autres par le Front national en France !

Nous aurons alors deux sociétés : la noire violente qui voudra sortir les sortants et la rose vouée aux Bizounours. Fin de la modération, fin du regard adulte responsable, fin du bon sens. Le projet de « nouvelle civilisation à inventer » est à se rouler par terre de rire ! Tout le monde se méfie (depuis les expériences « socialistes » du XXe siècle) de ceux qui veulent changer le monde et créer un homme nouveau.

Cet avant-projet se montre donc tel qu’il est : un instrument de manipulation envers les électeurs. Ceux de gauche qu’il s’agit de capter en flattant les extrêmes, tout en restant assez vague pour ne pas se lier les mains si l’on parvient au pouvoir. Ceux du centre et de la droite déçue qu’il s’agit de rassembler sur des « principes » aussi nébuleux que roses pour que tout le monde soit content. Sans tomber à cette étape dans la liste de promesses démagogiques – ce qui sera pour le/la candidat(e). Il s’agit donc de tactique politicienne en vue des primaires socialistes, pas d’un projet politique concret pour le prochain quinquennat.