Souvent, les éditos ouvrant La séance ont été nécrologiques.
Toujours sincères, mes hommages aux personnalités du cinéma disparues ont l'avantage de m'éviter de raisonner pour finir par asséner des vérités premières parfois sources d'agacement chez le lecteur, et de m'offrir à bon compte l'évidence d'une émotion partageable.
Et si j'évoque ici, certains départs vers le Big Nowhere, c'est parfois qu'il me semble que le traitement minimaliste de l'information dans la grande presse risque d'évoquer au défunt l'entrée dans une fosse commune médiatique.
Allan Sillitoe, 4 mars 1928 - 25 avril 2010
Révélé au milieu des années cinquante par deux romans sociaux, The loneliness of the long distance runner et Saturday night, sunday morning, Allan Sillitoe allait prendre place parmi ces artistes que le presse baptisa Les jeunes hommes en colère et qui, à l'instar des jeunes gens de la nouvelle vague en France, allaient apporter une contribution originale à la révolution des mœurs et de la culture qui mettrait, au cours de la décennie suivante, la Grande Bretagne cul par-dessus tête, dans une ambiance musicale sentant bon les quartiers populaires de Liverpool, de Manchester et du grand Londres.
Aux côtés de John Osborne (dramaturge, auteur du célèbre Look back in anger et porte-parole naturel des Angry Young Men), de quelques écrivains plus ou moins tombés dans l'oubli, et de quelques cinéastes non-conformes (Tony Richardson, Karel Reisz, John Shlesinger - celui de Macadam cow-boy), Sillitoe contribue à donner une voix, une petite voix intérieure peut-être, au début, à ces jeunes gens qui dans l'Angleterre d'après guerre, manquaient d'héroïsme et avaient le droit de la boucler devant les anciens. On a pu dire que les jeunes hommes en colère, en ayant osé la rage et la révolte dans une Angleterre confite, avaient annoncé l'avènement des adolescents, purs produits du rock'n'roll et de la société de consommation.
The loneliness... et Saturday night..., portés au cinéma, respectivement par Tony Richardson et Karel Reisz, ont donné deux des films les plus intéressants de l'époque, avec This sporting life (Lindsey Anderson) et A taste of honey (Richardson à nouveau). Ce mouvement novateur allait révéler des acteurs formidables, tels Albert Finney, Tom Courtenay, Richard Harris, Rita Tushingam, Julie Christie. Sauf erreur de ma part TOUS ces jeunes cinéastes, réalisateurs et acteurs de talent, qui donnaient une voix à la classe ouvrière et à la jeunesse britanniques des années 50-60, durent émigrer aux États-Unis pour faire carrière. Je me demande si on se souvient d'eux. Comment mieux illustrer les doutes exprimés par Truffaut sur la capacité des britts à développer un cinéma à eux.
Ces jeunes gens annoncent néanmoins un cinéma et une littérature à la fibre sociale exacerbée, dont les meilleurs représentants actuels restent Ken Loach et Robert McLiam Wilson.
Pour celles et ceux qui ont la curiosité de cliquer sur le lecteur pour agrémenter leur visite par l'aimable audition de la musique de la semaine, je propose quelque chose en lien avec cette époque, mais dans une interprétation résolument actuelle. A vrai dire par ma toquade du moment (voir mon billet d'il y a huit jours), la belle et surprenante Mina Agossi.Le titre qu'elle se réapproprie ici, And I love her, était chantée par Paul Mc Cartney dans A hard day's night, formidable témoignage visuel et sonore sur le Swinging London, réalisé en 1964 par Richard Lester mais entièrement inspiré et totalement habité par l'aura très particulière de ce groupe à la mode de l'époque, The Beatles.
FILMS DE LA SEMAINE (SORTIES)
Deux films me semblent s'imposer, parmi une cohorte de films plutôt riche, cette fois.
film américain (US) de Benny Safdie et Joshua Safdie (2009, 1h30)
scénario : Joshua Safdie et Benny Safdie
directeurs de la photographie : Brett Jutkiewicz et Joshua Safdie
compositeur : David Sandholm
production : Red Bucket Films et Sophie Dulac Production
distributeur : Sophie Dulac Distribution (Le bel âge, Ilusiones opticas, Chaque jour est une fête)
avec Ronald Bronstein, Ted Barron, Jake Braff
Synopsis : Après plusieurs mois passés séparé de ses enfants, Lenny, la trentaine, les récupère à l'école. Comme chaque année, il passe deux semaines avec ses fils Sage, neuf ans, et Frey, sept ans. Tout ce petit monde s'entasse dans le studio du centre de New York. Au fond, Lenny hésite entre être leur père ou leur copain, et voudrait que ces deux semaines durent six mois. Pendant ces quinze jours, un voyage dans le nord de l'Etat de New York, des visiteurs venus d'étranges pays, une mère, une petite amie, des couvertures "magiques", et l'anarchie la plus totale s'emparent de leur vie entre burlesque et tendresse.
Comme un chant du cygne au pardon et à la responsabilité, à la paternité, aux expériences personnelles, et à ce que l'on ressent quand on navigue entre l'enfance et l'âge adulte.
On avait eu l'an dernier The Pleasure of Being Robbed, premier film de Josh Safdie avec Eleonore Hendricks, quelque chose qui semblait chuchoter à l'oreille : l'underground new-yorkais est de retour et ça donne envie. Le jeune réalisateur (25 ans) confiait “On a créé avec mon frère et des amis une petite société, Red Bucket Films, afin de produire nos films en indépendants. On loue pour 700 dollars un cagibi sans fenêtre à Chinatown, compensant le manque de moyens par l’entraide et la bonne humeur, comme une bande de vieux gamins excités par la moindre trouvaille.” Un système D (comme Do it yourself) qui fait mentir l'adage selon lequel les producteurs de films indépendants américains d'aujourd'hui sont TOUS affiliés aux majors, le cinéma indie étant une sorte de "période d'essai" permettant aux jeunes cinéastes de se confirmer avant de se voir confier un projet sérieux (donc cher).
Un petit nombre de cinéastes tourne autour de Red Bucket, comme Ronald Bronstein, un proche de Safdie, lui-même auteur-réalisateur d'un film, Frownland et qui interprète Lenny dans Lenny & the kids. Il y en a d'autres, il y a des projets, une façon de faire qui recrée un NY underground, même si ça doit passer, comme dans les 60's, par le 16 mm gonflé en 35 pour être diffusé en salles.
Un cinéma fait avec trois fois rien qui nous refait le coup du chêne et du roseau en soufflant au passage un air très frais entre le spectateur et l'écran. Et il me semble, contrairement à mes habitudes, que montrer la BA du film sera mon meilleur argument pour le défendre. Donc :
Lenny and the Kids (Go Get Some Rosemary) Bande Annonce
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(Morrer Como Um Homem)
film franco-portugais de Joao Pedro Rodrigues (2009, 2h13)
scénaristes : Joao Pedro Rodrigues, Rui Catalao, Joao Rui Guerra da Mata
directeur de la photographie : Rui Poças
production : Rosa Filmes (Odete)
coproduction : Ad Vitam (Vincere, Mammuth, Ajami, Plein Sud)
distributeur : Epicentre Films
avec Fernando Santos, Alexander David, Gonçalo Ferreira de Almeida
Synopsis : Tonia, une transsexuelle vétéran des spectacles de travestis à Lisbonne, voit s’effondrer le monde qui l’entoure : son statut de star est menacé par la concurrence des jeunes artistes.
Pressée par son jeune copain Rosário d’assumer l’identité de femme et de se soumettre à l’opération qui la fera changer de sexe, Tonia lutte contre ses convictions religieuses les plus intimes.
Pour s’éloigner de tous ses problèmes, elle part à la campagne avec Rosário. Après s’être égarés, ils se retrouvent dans une forêt enchantée, un monde magique où ils rencontrent l’énigmatique Maria Bakker et sa copine Paula. Cette rencontre va tout faire basculer…
"Mourir comme un homme ou le dernier amour d’un travesti vieillissant pour un jeune toxico. Somptueux et élégiaque" (Jacky Goldberg, Les inrocks).
"Petit proverbe éphémère : qui aime Fassbinder et Douglas Sirk aimera Mourir comme un homme, le nouveau film du réalisateur portugais d'O Fantasma et d'Odete. C'est un mélo, où une sorte de Lana Turner ronde et fatiguée - en fait un transsexuel non opéré - voit s'effondrer son monde, risque de perdre son statut de vedette de la nuit et jusqu'à son petit jules hétéro et camé, qu'elle aime désespérément. C'est aussi un brûlot, où une société de la compétition et de la violence se trouve condensée dans la microsphère d'un couple et celle d'un tout petit milieu - celui des travestis d'un cabaret lisboète" (Télérama).
J'aime Sirk et Fassbinder et je crois dans un cinéma portugais de plus en plus audacieux, tant dans la forme que dans le fond. Ici, le transsexualisme dans une ambiance qui vogue entre le réalisme le plus noir et le conte de fées par un cinéaste qui a déjà un passé, mais dont j'avoue connaître peu de chose, sinon que son film précédent, Odete, m'avait aussi donné envie. En plus, Gérard Lefort invoque, à propos d'une scène où les deux anti-héros fouillent la terre du jardin pour déterrer des secrets et talismans enfouis, les sortilèges de La nuit du chasseur... Que demander de plus ?
Ce film sera projeté dans le cadre d'Eurociné 27, le 9 mai 2010, à l'occasion de la Journée de l'Europe. Pour plus d'infos, voir le site de l'événement : www.eurocine27.eu.
Greenberg de Noah Baumbach (USA) avec un Ben Stiller qui semble avoir définitivement renoncé à incarner un néo Jim Carray et tourné le dos aux crétineries de sa première partie de carrière, aurait été un bon choix pour cette semaine, ainsi que Despues De La Revolucion de Vincent Dieutre (France) qui sort d'ailleurs un coffret DVD, occasion de (re)découvrir son "cinéma de croquis poétique en vidéo" (Les inrocks).
Mais le film qui me surprend, ce soir, au moment de boucler, dont il n'est question à peu près nulle part dans la bonne presse, dont je n'avais nullement entendu parler, que je découvre, c'est l'excellent Critickat qui le défend, en en faisant LE film de la semaine. Il s'agit de Teza, réalisé par Haïlé Gérima et, faute de pouvoir à l'heure qu'il est m'approprier le film, je vous rapporte les propos de Sarah Elkaïm de Critickat : "Émigré aux Etats-Unis depuis 1967, Haïle Gérima est l’un des cofondateurs (aux côtés notamment de Charles Burnett, Jamaa Fanaka, Larry Clark…) de la Los Angeles School of Black Filmmakers. L’école d’un cinéma noir autonome, inspiré par le cinéma cubain, brésilien, africain, par le néo-réalisme italien et la Nouvelle Vague. Teza, œuvre somme, sublime fresque épique et poétique sur l’histoire contemporaine de l’Éthiopie, est l’aboutissement de quatorze ans de travail. Un travail récompensé dans de nombreux festivals, à juste titre". Voilà qui me donne envie de cinéma et je tâcherai d'en savoir plus pour la prochaine Séance du mercredi.
FILMS DE LA SEMAINE (REPRISES)
The Fearless Vampire Killers
film américain (US) de Roman Polanski (1967, 1h50)
scénario : Roman Polanski et Gérard Brach
compositeur : Krzysztof Komeda
directeur de la photographie : Douglas Slocombe
distributeur : (La meilleure façon de marcher, La tour infernale, Soleil vert, La nuit américaine, Frenzy etc. etc.)
avec Roman Polanski, Sharon Tate, Jack McGowran, Alfie Bass
Synopsis : Un vieux savant et son aide pourchassent, dans un sinistre château de Transylvanie, une curieuse espèce de vampires.
Roman Polanski est un des cinéastes de carrure internationale les plus personnels. Il s'est parfois intéressé aux films de genre, comme "le polar avec privé qui prend des coups" (Chinatown, 1974), l'aventure flibustière avec pendaison au bout d'une vergue (Pirates, 1986) ou le fantastique avec La neuvième porte en 1999. Mais ces films, s'ils respectent certaines conventions (la jambe de bois du Pirate, par exemple) restent toujours des œuvres très personnelles.
Pour celles et ceux qui n'auraient jamais vu le film, il est sans doute bon de préciser que le modèle de Polanski n'était ni Max Shreck (le Nosferatu de Murnau), ni même Bela Lugosi, mais plutôt le Comte Dracula quelque peu dandy et sexy incarné par le beau et ténébreux Christopher Lee dans les films tournés par Terence Fisher pour la Hammer (studio anglais spécialisé dans l'exploitation de tous les mythes fantastiques du cinéma des années 30 : Mommie, Frankenstein, Loup-garous et autres créatures maléfiques), dans les années 50 et 60.
J'ai toujours imaginé que la scène du bal avait inspiré son Champagne à Jacques Higelin.
En CLIQUANT ICI, on trouve la très intéressante "Fiche" du Centre de Documentation du Cinéma Le France à Saint-Étienne, très pédago comme toujours, mais intéressante. On y apprend qu'à sa sortie, Positif n'avait pas adhéré au film, contrairement aux Cahiers qui y voyaient "à la fois un très grand film d’épouvante, un très grand film d’aventure et une très grande comédie."
Je vous mets en lien un curieux "site pédagogique" consacré à Polanski et destiné aux lycéens et étudiants : CLIQUER ICI.
Je répète ce que j'ai écrit en chroniquant ici The Ghost writer, qui reste jusqu'à présent LE grand film de cette année 2010, film d'une densité et d'une intelligence telles qu'il sera difficile à dépasser : j'ai évité de m'exprimer sur "l'Affaire Polanski" et je m'en tiens à aborder le travail de cet immense cinéaste. Mais il me semble que l'emprisonnement des artistes n'est pas toujours compatible avec la Démocratie et, à tout le moins, qu'une extradition de Roman Polanski vers un pays qui en est encore à appliquer la peine de mort à ses criminels ou supposés tels, comme la Chine, la Birmanie ou l'Iran, ne serait pas un acte honorable. Et en le défendant aujourd'hui, je n'excuse pas pour autant ce qu'a pu faire cet homme il y a trente cinq ans, quelles qu'en soient les circonstances.
L'IMAGE DE LA SEMAINE
Deux, très différentes, encore que.
Roman Polanski ne voulait pas de Sharon Tate pour interpréter sa jolie vampirette.
Il l'épousera à la fin du tournage. Qu'est-ce qui a bien pu le faire changer d'avis ?
J'aime beaucoup cette image de Mourir comme un homme.
Elle m'évoque, au-delà de son onirisme, le cinéaste hong-kongais Tsaï Ming Liang
et ses éternels plans d'eau étranges ou tordants, c'est selon.
ON EST PAS DES CHARLOTS : LES CHAPLIN DU MOMENT
Les chaussons rouges de Michael Powell (1948)
Nuits d'ivresse printanière de Lou Ye (2009)
The Ghost writer de Roman Polanski
La Reine des pommes de Valérie Donzelli (2009),
mon film côté cœur de cette année.
Les trente neuf marches d'Alfred Hitchcock (1935)
Jeune et innocent d'Alfred Hitchcock (1937)
Cliquer sur les titres pour consulter les séances (pour La reine des pommes, faites vite !).
Le dépliant des Actions Écoles sur les Hitchcock (cette semaine Une femme disparait a rejoint les deux autres) en CLIQUANT ICI.
FOCUS
Cette semaine, un FOCUS sur la MASTER CLASS du Forum des Images
de Bertrand Tavernier.
CLIQUER l'une des deux images
pour en savoir plus.
Outre une courtoisie qui confine à la vraie gentillesse, Bertrand Tavernier est un homme de cinéma exceptionnel. Cinéaste bien plus riche qu'on ne peut le lire dans ma presse favorite (Libé, Les inrocks qui trouvent son style pachydermique), souvent passionnant et qui a su explorer en 35 années de carrière des pistes très diverses, du faux film colonial à la reconstitution historique désabusée, de la chronique lyonnaise "de gauche" au polar noir ou au film jazzy, Tavernier est avant tout un fou du cinéma doublé d'un extraordinaire érudit. Et l'Institut Lumière de Lyon, qui est une seconde cinémathèque française, lui doit tant... Passer une très bonne heure et demie en sa compagnie promet un plaisir rare, que j'espère pouvoir partager.
Bonne semaine et bons films !