Les bateaux s'accumulent sur la Sensée à Douai... Bruno, 46 ans, se bat, avec les autres, pour continuer un métier pourtant dans l'air du temps.
Sur la Sensée, à Douai, les bateaux s'accumulent... Parmi les bateliers, Bruno Willaert, « né dans un bateau », à bout, mais qui se bat « pour pouvoir continuer ». Par passion.
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« C'est mon métier, mais aussi ma passion. Alors je me bats pour continuer, même si je suis un peu lassé d'être exploité... ».
En rade à Douai, Bruno Willaert, 46 ans, n'a plus rien à perdre. « Depuis 2008, explique-t-il, on touche à nos économies pour subvenir à nos besoins. Plus personne ne s'en sort. C'est un
engrenage qui ne peut pas durer (1) ».
D'autant qu'à son compte depuis 1984, il n'imagine pas sa vie hors de son bateau : « Que pourrais-je faire d'autre ? ». Car le bateau, ce fils et petit-fils de batelier est né dedans : « J'y ai
vraiment poussé mon premier cri ». Pas surprenant dès lors que dès quinze ans, il travaillait avec son père : « C'est lui qui m'a appris le métier ».
Un milieu unique, fascinant, avec ses « bons et moins côtés ». Aujourd'hui, il en est à son cinquième bateau, acquis il y a six ans. « J'ai toujours voulu évoluer, confie-t-il. Aujourd'hui, je
travaille pour l'international, des transports vers la Belgique, la Hollande, l'Allemagne : les céréales et tout ce qui est ferreux ». Pour lui, comme pour les autres, ce qui ne va pas, ce sont
les intermédiaires et les prix imposés. « Évidemment, reconnaît-il, on est libre de refuser, mais comme il y a toujours quelqu'un qui va le faire... On risque d'être banni ». Sans compter « la
concurrence déloyale de certains pays ».
« C'est notre truc, une vie à part »
Et dire que le transport par voie d'eau est dans l'air du temps. « C'est vrai, reconnaît Bruno, on dit que c'est le plus économique, le plus écolo - mon bateau, 1 063 tonnes, représente
trente-trois camions - mais la réalité montre un autre visage... On se sent abandonnés ». Car au-delà des discours, il a l'impression de « ne pas être écouté ». Heureusement que sa famille tient
le coup dans la tempête : sa première fille, Gaëlle, 25 ans, qui a donné son nom au bateau sa deuxième fille, Julie, batelière Céline, la petite dernière, qui va passer son bac. À 19 ans, elle
vit dans la maison familiale à Douai. Un havre de paix pour la retraite ? Il n'en sait rien : « Vous savez, je ne sais pas que ce que je ferai à ce moment-là : mes beaux-parents, à 76 ans,
résident toujours sur une péniche à la gare d'eau de Dorignies ». Dur de chercher à comprendre : « C'est notre truc, une vie à part ».
À tel point que certains bateliers, non issus du sérail, jettent l'ancre parfois rapidement, après quelques mois d'exploitation. Car il faut être mordu pour accepter les mauvais côtés du métier :
la navigation l'hiver, l'éloignement des enfants (dès six ans à l'école de la batellerie). S'ajoutent maintenant les gros nuages sur l'avenir de la profession.
« La batellerie est menacée de disparition », reconnaît Jacques Delhay, un des responsables du syndicat La Glissoire. « Il faut que les responsables politiques nous répondent, poursuit-il, même
s'ils ne sont pas d'accord avec nous... Nous, on demande simplement que le prix payé pour le transport ne soit pas en dessous du coût d'exploitation d'un bateau ». Pour que la passion se
perpétue. Bruno en sait quelque chose. Sa deuxième fille suit ses traces : « Avec son copain, elle est bien partie... Mais pour combien de temps ? ». C'est tout l'enjeu du conflit actuel. •
(1) Le prix du fret à la tonne est passé de 9 euros en 2008, à 6 euros il y a un an et à 4,80 euros aujourd'hui, en moyenne.
mercredi 28.04.2010, 05:08 - PAR BERNARD VIREL La voix du nord