Vous ne sortirez pas de cette exposition au Musée Maillol (jusqu’au 4 Février) guilleret et sifflotant. Attendez-vous à voir en face les horreurs de la guerre (la Grande) telles qu’une dizaine d’artistes allemands les ont vécues dans leur chair même.
Les gravures d’Otto Dix, qui démarrent l’exposition, montrent des hommes qui ne sont plus des hommes, devenus cadavres, robots tueurs, sauvages, fantômes, fous, ayant perdu toute parcelle d’humanité. Certaines gravures sont très réalistes, les plus frappantes sont celles plus dépouillées, plus formelles, ainsi des trous d’obus illuminés par des obus éclairants où les formes rondes, lunaires des cratères sont décorées d’un fourmillement lumineux de petits filaments blancs. D’autres montrent des entassements de cadavres à moitié ensevelis, tas d’os presque abstrait dans sa facture s’il n’y avait ce crâne qui en émerge. D’Otto Dix aussi, une Vierge tragique, les traits défaits, les seins tombant, serrant dans ses bras un foetus avorté alors que des têtes grimaçantes émergent des nuages. Pour éviter la censure, Dix, soldat en première ligne, n’envoie pas de lettres mais des dessins sur des cartes postales militaires. Celle-ci, datée du 20 Mars 1916, est titrée Autoportrait dans un abri. Voilà des yeux qui ont vu l’enfer, l’indicible.
Max Beckmann et George Grosz traduisent, plus que Dix, l’horreur en termes graphiques. Beckmann bouscule la représentation réaliste, fait basculer les verticales dans un enchevêtrement diabolique. Grosz invente un trait nouveau, empile les zigzags, détruit la ligne droite. Ludwig Meidner aussi déforme, éclate les figures, déchaîne son trait. Ses Prophètes (1916) haranguent la foule et annoncent la dictature; leurs formes s’emmêlent, mains et têtes émergent de la masse. A voir ces dessins, on pressent que l’expérience de la guerre a été un des creusets de l’art moderne, que la destruction des hommes, des vies a permis, entraîné une déconstruction de la ligne, du dessin.
La seconde partie de l’exposition est consacrée aux années de Weimar. A côté de la montée du nazisme, un des thèmes les plus intéressants de l’exposition est celui de la non-représentation des gueules cassées. Autant les invalides, manchots, culs-de-jatte et autres mutilés sont omniprésents dès la fin de la guerre, représentés en mendiants ou en héros, autant on ne se résoud pas à représenter les visages détruits, on les cache dans des pièces sans miroir (rappelez-vous, de ce côté-ci du Rhin, La Chambre des Officiers). Il y a là un tabou, une limite dans la représentation de l’horreur, qui s’impose à tous. Ni photos, ni dessins jusqu’en 1924. Alors un pacifiste, Ernst Friedrich ose publier un livre Krieg den Krieg (Guerre à la guerre) en édition quadrilingue (allemand, anglais, néerlandais et français), qui reproduit des photos de visages mutilés. C’est bien sûr un scandale.
Cete exposition ne se veut pas seulement artistique, elle replace les oeuvres dans un contexte historique, avec quelques artefacts très visuels (ainsi un masque à gaz, un casque). Mais il est désastreux qu’il y ait autant de fautes d’orthographe dans les cartels et sur les panneaux explicatifs; j’en ai rarement vu autant dans une exposition.
Photos de l’auteur. Otto Dix copyright ADAGP : la photo de son oeuvre sera retirée du blog à la fin de l’expo.