Je garde un excellent souvenir d'une longue rencontre que nous avions eue, et un souvenir meilleur encore de la lecture de ses premiers livres. Je l'avais découvert peu de temps après son prix Renaudot de 1971 pour Le sac du Palais d'Eté, un roman furieux, emballé, énorme. C'était l'époque où, sortant d'études secondaires pendant lesquelles les professeurs ne m'avaient proposé que de la littérature très sage, je découvrais goulûment le droit de l'écrivain à ruer dans les brancards - et le droit du lecteur à en profiter avec ravissement, ce dont, vous devez vous vous en douter, je ne me privais pas.
Je me souviens surtout de la manière dont Pierre-Jean Rémy, quand je l'ai vu, m'avait parlé des voix de femmes dans les opéras qui lui étaient chers. Je ne crois pas lui avoir raconté, en revanche, que j'avais de mon côté, après le choc que son troisième livre avait provoqué chez moi, mis tous ses livres en fiches (il n'y avait pas encore une bonne soixantaine), avec l'intention d'écrire un article définitif que je n'ai évidemment jamais écrit. Heureusement: avec son rythme de production, la notion de "définitif" avait, par avance, du plomb dans l'aile (si une notion a des ailes, bien sûr).
Son œuvre sera peut-être définitivement close le 14 mai, jour de la parution de son nouveau roman - posthume donc. Comme je ne peux rien vous refuser, voici les premières lignes de Voyage présidentiel:
1er avrilA suivre, dans deux semaines, en librairie... Si l'impatience est une de vos caractéristiques, profitez de ce temps pour lire Le sac du Palais d'Eté. Vous ne le regretterez probablement pas.
Très vite, une heure à peine après le départ, j’ai ressenti pour la première fois ce sentiment de liberté, cette légèreté que depuis des années je croyais ne plus savoir goûter. Le ciel était clair, à côté de moi Laurent était plongé dans la lecture d’un volume fatigué qu’il avait tiré de sa serviette au moment de s’asseoir. Les Déracinés, Barrès, entre les mains: pourquoi pas? Nous sommes d’une génération qui a aussi lu Barrès. Il y a quelques années, m’a-t-on dit, deux ou trois conservateurs de la Bibliothèque nationale – pour laquelle je n’ai en rien l’attachement qu’on me prête – auraient voulu organiser un cycle de trois expositions consacrées à ce qu’un historien a pu qualifier de «Siècle des écrivains». Le siècle de Barrès, celui de Gide, celui de Sartre. Le bruit en serait arrivé jusqu’à mon cabinet, et je ne sais lequel de ces imbéciles qui montent la garde autour de moi aurait levé les bras au ciel: «Barrès, vous n’y pensez pas?» Quant au petit père Gide, lui, il l’aurait trouvé «bien daté»! En revanche, le pauvre garçon aurait tout à fait apprécié le projet d’une exposition et d’un cycle de conférences, colloques et autres chochotteries sur le seul Sartre.