Petite conversation philosophique autour du courage et d'une bouteille de sauvignon alors qu'un merle moqueur jetait ses trilles depuis l'antenne du voisin. Jankélévitch eut ce mot surprenant : " Il y a du courage dans la fidélité conjugale." Nous pouffâmes prou à cet énoncé. Du courage à rester avec la même femme pendant quarante ans sans la tromper ? Du renoncement plutôt ! Et de fil en aiguille, nous en vînmes à considérer la question de l'engagement. Les Résistants de 1940, qui ont su dire non aux nazis, étaient courageux. Pas de doute là-dessus. Mais le courage résulte-t-il toujours d'un engagement ? Je ne le pense pas. Le quidam qui se porte au secours d'un autre qu'on brutalise dans le métro pose un acte courageux car il sait qu'il risque d'être molesté à son tour. Mais ce quidam est comme ça, ontologiquement courageux. Et si le courage consistait à fuir ? lança un convive en sirotant son sauvignon. Instinctivement, je répondis non. J'en étais encore à la Résistance et à ses représentations épiques, romantiques. Maintenant, à tête reposée, je cherche des situations où la fuite se constitue en courage. Dans les Justes de Camus, le terroriste chargé d'assassiner le grand duc détourne son arme parce qu'il y a des enfants dans la voiture. Il fuit sa mission et en répond devant le chef de son groupe. Mais en fuyant sa responsabilité de terroriste, il endosse une responsabilité plus grande qui est celle de l'homme face à l'humain. Il s'agit donc d'une fuite dûment réfléchie qui n'a rien à voir avec la lâcheté mais avec un immense courage puisque le failli, accusé de trahison, pourrait être éliminé par ses pairs. Il est donc raisonnable de penser que fuir, en certaines occurrences, est un vrai courage. Fuir par exemple le chant des sirènes qui martèle jusqu'à l'obsession de fausses vérités est un premier pas vers le courage. Qui mérite bien un autre verre de sauvignon.