EDITO RELATIO-Les élections russes invitent à reposer une question-clef : la démocratie, c’est quoi ? Un système de sélection des élites ? Dans ce cas le mot de Churchill conserve toute sa pertinence : « C’est le pire des système à l’exception de tous les autres ». Une grille de valeurs qui prennent du sens grâce à un Etat de droit qui respecte les Droits de l’Homme, donc les principes d’ « égale dignité » et de respect de la Personne dans la recherche de la conciliation entre les intérêts particuliers et l’intérêt général (qui est plus que la somme des précédents) ? Dans ce cas, ne parlons pas de « démocratie » en termes générique : chaque démocratie se doit d’être qualifiée en fonction de ses propres spécificités.
Une démocratie, la France ? Bien sûr, mais en rien exemplaire. Oligarchie masquée, doxocratie développpée, technocratie non maîtrisée… Les normes du Conseil de l’Europe, que la France respecte plus formellement que réellement, constituent des critères irremplaçables mais insuffisants. Elles sont plus des filets de sécurité et des poteaux indicateurs pour une perfectibilité possible que des prix de bonne conduite. Alors que dire de cette Russie qui dans l’ère soviétique osait s’autoproclamée « démocratie populaire » et qui aujourd’hui souscrit comme 46 autres pays aux « normes » du Conseil de l’Europe sans les prendre à la lettre et sans en respecter l’esprit…
Imagine-t-on une démocratie par définition « pluraliste » être dominée par un parti unique (ou presque) ? La dizaine de partis en lice, fantaisistes pour la plupart, n’ont pour fonction que de se discréditer les uns les autres et faire croire qu’il s’agit d’élections… pluralistes, ouvertes et dignes. Et le vainqueur est désigné d’avance.
Qualifie-t-on de « démocratie » un pays gouverné d’une façon despotique. Même éclairé et soucieux de respecter les apparences, un despote reste un despote.
Qualifie-t-on de « démocratie » un grand pays où le Président de la commission électorale chargée de veiller à la régularité du scrutin s’avoue publiquement partisan d’une…monarchie et ne manque pas une occasion de faire l’éloge de son ancien patron (Vladimir Poutine) et de soutenir le chef de l’Etat candidat pour un siège de député qu’il n’occupera jamais…
On comprend les cris d’alarmes et les appels au secours de Kasparov…
On est sidéré en lisant dans un article de Lorraine Millot de Libération que l’ancien politique d’Elstine, Georgi Satarov affirme : «Cette campagne est une farce intégrale» (…) L’administration présidentielle a envoyé à tous les gouverneurs des consignes disant combien de pourcentages de votes ils doivent assurer au parti Russie unie. Dans certaines régions, le FSB (les services secrets, successeurs du KGB) a même convoqué les gouverneurs pour les prévenir que si les scores requis ne sont pas atteints, ils seront non seulement destitués mais aussi poursuivis en justice pour affaires de corruption.»
Le (courageux) journaliste Leonid Radzikhovski commente le scrutin de ce week-end en se référant à une phrase de Gogol en …1834. «Tout respire ici le mensonge surtout le soir tandis que le démon lui-même allume sa lampe et éclaire hommes et choses, qui revêtent alors un aspect illusoire et trompeur.»
Mascarade, comédie, feux de rôles : une démocratie illusoire. Une démocratie Potemkine ! Comme les villages aux façades trompeuses que le prince Grigori Alexandrovitch installait pour que Catherine II, sa tsarine bien aimée, ne voie pas la misère où son peuple croupissait.
Bien des esprits se réclamant de « l’objectivité », mettent en avant la croissance exceptionnelle de l’économie russe, le retour de la Russie comme « puissance mondiale », la fin des humiliations nationales du « grand peuple russe », les mille et une qualité d’Homme d’Etat de Poutine, l’exigence de réalisme qu’impose Moscou et …le poids d’une Histoire russe étrangère à la notion même de « démocratie » pour excuser ces « imperfections » poutiniennes de l’application des engagements pris par la Russie en entrant dans la « famille » du Conseil de l’Europe. La théorie des climats appliquée aux civilisations…
Il est sûr qu’on « ne pisse pas contre le vent » et qu’il est stupide de vouloir faire du patin sur les lacs en été : « Si tu peux changer les choses, fais le. Si tu ne peux pas tais-toi ! »… Les relations internationales sont fondées sur ce réalisme qui flirte si souvent avec le cynisme et en matière de démocratie tous les donneurs de leçons devraient d’abord balayer devant leur porte (et surtout derrière). Mais où passent les lignes rouges, ces limites de l’inacceptable ? Si Poutine était l’homme d’Etat aux qualités incontestables si vantées, et s’il était l’homme providentiel pour cette puissance riche d’un avenir radieux, aurait-il aussi peur d’une presse libre, d’une opposition non muselée, d’une liberté d’expression non bâillonnée ? Eprouverait-il autant le besoin de renouer avec les fantasmes et les méthodes du KGB qu’il a si bien servi et qui l’a tant formé ? Et craindrait-il à ce point les observateurs « étrangers », de l’OSCE et du Conseil de l’Europe notamment, pour le scrutin de ce dimanche ?
« Il a une peur terrible d’une révolution Orange », disent de bons experts en faisant référence au rôle joué par les ONG et la « sociéte civile » en Ukraine en novembre 2004.Il a peur, aussi, des irruptions de bien des volcans « régionaux »… Il a peur surtout, sans doute, d’une de ces explosions sociales que la croissance fantastique des inégalités peut déclencher (presque) mécaniquement.
Les « nouveaux riches », les « milliardaires russes », les bénéfices colossaux d’une minorité de profiteurs de l’économie (visible et …souterraine), la manne des hydrocarbures et du dynamisme du complexe militaro-industriel ne font pas oublier que, dans ce deuxième exportateur mondial de pétrole, entre 30 et 35 % des 144 millions de Russes vivent dans la misère…
Cette misère là, aucun « village potemkine » ne peut la cacher ! Alors, Poutine se protège par le piétinement des libertés et des droits politiques : « la Nation » s’en accommode et les « partenaires étrangers », eux-mêmes pris à la gorge par une maladie économico-sociale chronique, font passer les droits de l’homme et les exigences démocratiques bien après le droits aux affaires et les impératifs économico-stratégiques.
Daniel RIOT