Voici un extrait inédit du livre de Ludovic Delory, journaliste économique chez Bel-RTL en Belgique, dans lequel l'auteur montre la face cachée du mythe keynésien. Un passage non publié dans la version définitive du livre, dont vous pouvez lire la critique sur Contrepoints.
« Si John Maynard Keynes a pu très vite gagner les faveurs des dirigeants du monde entier, c'est pour une raison bien simple : ses théories sont populaires et elles valorisent le rôle de l'État. Du pain bénit pour séduire les décideurs politiques, qui trouvent dans les idées de l'économiste anglais une justification à leur interventionnisme. Qu'ils soient de gauche ou de droite, les politiciens s'entendent généralement sur la doctrine keynésienne qui a pourtant, depuis les années 30, étalé ses limites et ses lacunes.
En créant une fausse demande dans un ou plusieurs secteurs sélectionnés généralement pour leur aptitude avérée au lobbying efficace, les gouvernements croient générer de l'emploi et de la richesse. Il en va de même pour les dépenses militaires, ce qui a fait dire à Keynes et à ses émules qu'une bonne guerre permettait de relancer l'économie [1] ! Ces illettrés économiques n'avaient vraisemblablement pas lu le sophisme de la vitre cassée, dans lequel Frédéric Bastiat démontre avec une implacable logique que la défense d'un secteur économique au détriment d'autres secteurs empêche tout simplement ces derniers de prospérer et de se développer eux aussi. Or, en période de forte incertitude, le comportement rationnel impose de rester prudent, d'épargner et de veiller à ses dépenses. Mais dans le seul but de rompre avec les théories classiques, Keynes a toujours considéré l'épargne comme un résidu de la consommation, et qu'il fallait éviter à tout prix la formation de ce qu'il appelait des « rentes illégales ». Il s'agit là d'une terrible erreur d'appréciation, dont nous payons encore aujourd'hui les dégâts. Henry Hazlitt s'en est ému dans sa compilation The Critics of Keynesian Economics, en 1973. Les contributions de F. von Hayek, de W. A. Hutt ou de Jacques Rueff, pour ne citer qu'elles, ont dépouillé la théorie générale de toute crédibilité. En pratique même, les recettes keynésiennes appliquées dans les années 80 n'ont pas permis, nous l'avons vu, de sortir les pays asiatiques de la crise. Les divergences de vue entre Keynes et Hayek ne sont plus à démontrer, pourtant les deux hommes se connaissaient bien et n'hésitaient pas à débattre. Cela n'empêchait pas le prix Nobel de se montrer très critique vis-à-vis de son confrère britannique, et de ses faibles connaissances en économie. Dans une interview [2] donnée en 1978, Hayek définit Keynes comme « un homme avec beaucoup d'idées mais qui connaissait très peu l'économie. Il ne savait rien de l'économie marshallienne ; […] il ne savait presque rien sur l'histoire économique du dix-neuvième siècle. […] Il ne savait rien sur Henry Thornton ; un peu sur Ricardo, juste les choses les plus célèbres ».
Les disciples de Keynes se montrèrent malgré tout très convaincants auprès des gouvernements lorsqu'il s'est agi de proposer des recettes toutes faites pour combattre les crises. Ainsi, en 2002, au moment de l'éclatement de la bulle technologique, l'économiste Paul Krugman préconisa-t-il tout simplement de « créer » une bulle immobilière pour vaincre la chute du Nasdaq. Véridique [3] ! En prêchant pour la création de futures catastrophes, les oracles keynésiens font presque aussi bien que leur maître, si l'on admet que les bulles artificielles ont remplacé la bonne vieille guerre au catalogue des remèdes miracles. Le procédé est plus sournois, et il sera toujours possible par après, l'histoire le démontre, d'en rejeter la responsabilité sur autrui. Pour remercier sans doute Paul Krugman d'avoir si bien conseillé les responsables politiques de l'époque, l'homme reçut le « Nobel » d'Économie en 2008, soit… en pleine crise des subprimes. Un pied de nez au bon sens qui démontre, s'il en était encore besoin, que l'avenir des prédicateurs semble tout tracé, dans un monde exempt de logique.
« Le retour en grâce de Keynes », écrit Paul Fabra [4], « va de pair avec la peur panique de voir les ménages épargner plutôt que consommer. Cela peut se comprendre ! Mais on se doit aussi de constater que le discrédit jeté par l'illustre économiste sur l'épargne, définie pour les besoins de la cause comme “ l'excédent du revenu sur la consommation ”, est pour beaucoup dans les déviations, y compris financières, du capitalisme occidental. » Fabra ne fait que relever une évidence qui pique aux yeux : la crise financière est celle du crédit, c'est-à-dire de la dépense à outrance et sans mesure. Or, quel remède propose-t-on pour la résoudre efficacement ? Une relance de la dépense à outrance et sans mesure ! « Au total », écrit Jacques Garello [5], « la théorie de Keynes est une théorie de la demande, du court terme, de la nocivité de l'épargne. L'entrepreneur n'est pris en compte que pour ses anticipations pessimistes, il n'y a ni innovation, ni création d'emplois. L'épargnant ne sait pas quoi faire de son argent. Le travailleur subit les méfaits de la conjoncture. Seul l'État peut sauver tout le monde. » On ne peut mieux résumer le dogmatisme obtus de la pensée keynésienne.
Keynes n'a certes pas écrit que des inepties. Philippe Simonnot [6] souligne même que sa théorie des mouvements boursiers mérite d'être mieux connue. Son analyse de l'après-guerre de 14-18 et du désastre causé par le Traité de Versailles mérite également une attention soutenue. En revanche, en imposant ses conceptions erronées de l'épargne et de l'investissement, Keynes a ouvert une brèche qui, quatre-vingts ans plus tard, ne s'est toujours pas refermée. Sa force de persuasion, alliée au respect que lui vouait la société de l'époque, auront contribué à lui façonner un statut de légende. Keynes aimait affirmer que, selon lui, ce sont les idées qui gouvernent le monde, qu'elles soient justes ou fausses. Définitivement, il sera resté tout au long de sa vie l'homme d'une seule idée. Tel un prophète, sa bonne parole a conquis les esprits et, répétée avec conviction par des disciples disséminés aux quatre coins du monde, elle a acquis le statut de solution universelle. Des gouvernements avides de renforcer leur pouvoir en « faisant rouler » l'économie, en faisant croire que tout investissement allait trouver son financement, ont ainsi obligé des populations entières à se plier à l'offre, artificielle, ainsi créée.
Le National Industry Recovery Act mis en place par le président américain participe d'ailleurs à cette volonté de contrôler tous les pans de l'économie. La première édition étrangère du traité de Keynes fut allemande, et plusieurs auteurs n'ont pas manqué de relever des analogies frappantes entre Mein Kampf et la Théorie générale : Keynes estimait que ses plans de relance ne pouvaient être mis en œuvre dans un État trop libéral, qu'il fallait au contraire un gouvernement fort pour contraindre les acteurs économiques à la relance. Cette outrancière volonté de planification économique, on la retrouve écrite noir sur blanc dans le programme du parti national-socialiste allemand [7]. Mais aujourd'hui, cela ne semble pas émouvoir les héritiers de Keynes qui, de Washington à Bruxelles, professent et appliquent des plans de « relance » dont le seul véritable objectif est de planifier et d'organiser l'économie et, par conséquent, l'action humaine. »
[1] Ce fut le cas de la Seconde Guerre mondiale, qui stoppa net la dépression américaine en poussant à la production d'armes et d'engins de guerre
[2] Entretien avec Leo Rosten, UCLA
[3] « To fight this recession the Fed needs more than a snapback ; it needs soaring household spending to offset moribund business investment. And to do that, as Paul McCulley of Pimco put it, Alan Greenspan needs to create a housing bubble to replace the Nasdaq bubble. » Extrait d'un article intitulé Dubya's Double Dip ? et signé Paul Krugman, dans le New York Times du 2 août 2002.
[4] Paul Fabra, Épargner accroît la consommation, dans Les Échos du 20 janvier 2009.
[5] La magique démonstration de lord Keynes, 9 mars 2009.
[6] Philippe Simonnot, 39 leçons d'économie contemporaine, Éd. Gallimard, Folio, 1998
[7] Sur les liens entre le fascisme italien, l'Allemagne nazie, le New Deal de Roosevelt et les plans de relance de Keynes, lire Liberal Fascism : The Secret History of the American Left from Mussolini to the Politics of Meaning, Jonah Goldberg, Doubleday, 2008. Le terme « liberal » est évidemment à prendre ici dans son acception américaine c'est-à-dire, pour ce qui nous concerne, « social-démocrate » ou « de gauche ».
Extrait repris avec l'aimable autorisation de Ludovic Delory. Image : Harry Dexter White (à gauche), assistant du Secrétaire au Trésor américain et Keynes, les deux négociateurs en chef du point de vue technique des accords de Bretton Woods en 1946, image libre de droits, réalisée par le FMI.