Ce procédé qui semble tout droit sorti d’un livre de science fiction existe en réalité depuis un moment. C’est le Dr. Paul Bach-y-Rita, qui a appréhendé le premier dans les années 60 la notion de « substitution sensorielle » et le profit que pouvaient en tirer les non voyants. En effet, les personnes aveugles s’aidant d’une canne, substituent en réalité le son à la vue. C’est le bruit que fait la canne au sol et sa répercussion dans l’espace qui donne une indication visuelle à l’aveugle. Le son étant retransmis au cerveau via le nerf auditif. Grâce à la plasticité cérébrale, une partie du cortex auditif par exemple ici peut être dévolu à la vue. « Le cerveau a une formidable capacité d’adaptation : quand un sens est perdu, il compense» explique M Pitto, spécialiste de la plasticité cérébrale.
Le Pr Bach-y-Rita a donc imaginé de la même manière un instrument capable de rapporter au cerveau des informations sur l’environnement spatial, mais cette fois-ci, via un autre sens, le goût, qui permet de retransmettre via la langue et les nerfs gustatifs l’information au cerveau. Ce système fonctionne grâce à une caméra qui joue le rôle de l’œil en retransmettant sous forme de pixels noirs, blancs et gris les informations visuelles, qui sont ensuite transformées via un mini ordinateur en impulsions électriques qui vont être envoyées à la langue, via un dispositif, sorte de sucette munie de 144 pixels et déposée directement sur leur langue. Une forte impulsion représentera des pixels blancs, une impulsion moyenne des pixels gris et l'absence d'impulsion des pixels noirs. Ainsi l’information visuelle peut prendre forme grâce à l’interprétation cérébrale qui découle des sensations ressenties sur la langue.
De nombreuses personnes ont déjà testé cette méthode, comme l’escaladeur Erik Weihenmayer, devenu aveugle à 13 ans, Craig Lundberg, jeune militaire britannique de 24 ans ayant perdu la vue au combat en 2007, ou encore le chanteur Gilbert Montagné, aveugle de naissance (vidéo là). Selon le jeune militaire : « C'est comme lécher une pile de neuf volts ou manger des bonbons qui pétillent. Et grâce au BrainPort, je perçois désormais des lignes, des formes. J'ai pu marcher dans un corridor, passer des portes, croiser des gens qui venaient vers moi. C'était la première fois depuis l'Irak que j'ai pu faire de telles choses. L'équipement demande de la pratique mais a un grand potentiel. Une des choses les plus marquantes, c'est que ça m'a permis de pouvoir directement prendre des objets et non plus tâtonner avant de les attraper.»
Mais cette méthode nécessite un apprentissage et donc un temps d’adaptation. En effet, c’était la confusion la plus totale dans les papilles des aveugles qui ont participé à l’étude du Dr Bach-y-Rita au départ. Mais après trois ou quatre essais, ils étaient très souvent capables de distinguer la position d’un T qui leur été présenté par exemple, et après une semaine, leur taux de succès dépassait les 90 %. La neuroscientifique Aimee Arnoldussen, explique qu’utiliser le BrainPort, c'est comme apprendre un nouveau langage : « La personne doit apprendre à traduire les impulsions électriques en une idée d'objet et de forme. C'est une étape cruciale de l'apprentissage. Mais quand le procédé est acquis, cette translation devient automatique ».
Je me surprends à rêvasser à un futur « braille lingual », sûrement utopique, mais tellement séduisant.
Pour aller plus loin : * Cet article a été publié dans les chroniques d'abonnés du Monde.fr. Articles sources ici, ici, ici, ici et là + Vidéo du BrainPort ici. Plasiticité cérébrale là. Programme de prise en charge des déficients viuels ici. Canne jaune versus canne blanche ici. Plus d'infos là. Plasticite_cerebrale_et_lesions + Substitution_sensorielle.