Lors de la cérémonie de remise de la Légion d’honneur au Président de l’Université de Lyon III en 2002, plusieurs personnes dont une adjointe au maire de Lyon ont manifesté leur désapprobation car elles estimaient que ledit Président avait été trop complaisant avec les quelques universitaires qui défendent des thèses racistes et négationnistes dans cette Université. Lors d’un échange vif avec un Professeur de Lyon III qui se disait « fier d’être juif et […] fier d’être à Lyon III », l’adjointe au maire répliqua « Vous êtes la honte de la communauté ». Ces propos, rapportés dans la presse régionale, valurent à cette dernière une condamnation pour le délit d’injures publiques envers un fonctionnaire. Elle n’eut cependant qu’à en supporter les conséquences civiles - paiement de dommages-intérêts à la partie civile -, celles d’ordre pénal étant couvertes par une loi d’amnistie de 2002.
Jean-Claude Pfeffer, professeur à Lyon 3
La Cour européenne des droits de l’homme accueille le grief de la requérante en qualifiant tout d’abord cette condamnation d’ingérence au sein du droit à la liberté d’expression (Art. 10 - § 39), certes prévue par la loi et poursuivant un but légitime (§ 39 et 41).
Puis, la conventionalité de cette ingérence est mise en doute sur le terrain de sa nécessité dans une société démocratique. En effet, la configuration de l’espèce place les propos litigieux dans un cadre éminemment protecteur. Non seulement il est rappelé que « les limites de la critique admissible sont plus larges lorsqu[e les fonctionnaires] agissent dans l’exercice de leurs fonctions officielles que pour les simples particuliers » de sorte que « la personne [visée par les propos], en sa qualité de professeur de l’université pouvait faire, en tant que tel, l’objet de critiques personnelles dans des limites “admissibles”, et non pas uniquement de façon théorique et générale » (§ 47). Car, certes, un régime protecteur des fonctionnaires afin qu’ils puissent exercer au mieux leurs missions n’est pas en soi contraire à la Convention, mais il ne saurait permettre « la censure de toute critique dirigée contre un agent public » et doit « être mis en balance avec les intérêts de la liberté de la presse ou de la libre discussion de questions d’intérêt général » (§ 48).
De plus, « un niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression » était nécessaire « à double titre » du fait de l’objet des propos (qui relevaient « de sujets d’intérêt général : la lutte contre le racisme et le négationnisme [… et] s’inscrivaient d’ailleurs dans un débat public d’une extrême importance, l’attitude des autorités de l’université Jean Moulin Lyon III à l’égard de professeurs mis en cause pour les thèses qu’ils avaient défendues » - § 49) et de la qualité de son auteur (« la requérante s’exprimait sans aucun doute en sa qualité d’élue, de sorte que ses propos relevaient de l’expression politique ou “militante”» - § 49). Enfin, le caractère « incisif[… des paroles initiales] du professeur ont pu influencer le ton employé pour lui répondre » (§ 50 - V. Cour EDH, 5e Sect. 20 novembre 2008, Brunet-Lecomte et SARL Lyon Mag’ c. France, Req. no 13327/04, § 35 - Lettre Droits-Libertés du 21 novembre 2008 et CPDH 22 novembre 2008), tout comme la nature « rapide et spontané[e] » de l’échange verbal en cause (§ 51).
Au-delà de la qualité des protagonistes et de la forme de leurs propos, la Cour s’attache de façon remarquable au fond de la polémique qui a donné lieu à cet échange et qu’elle avait déjà indirectement eu à connaître lors d’une autre affaire (V. Brunet-Lecomte et SARL Lyon Mag’ c. France, précité). Les juges européens soulignent ainsi « que les déclarations litigieuses s’inscrivaient dans le contexte particulier d’un débat d’ordre national [public et passionné] portant sur un sujet particulièrement sensible » (§ 53), comme le révèlent la création, en 2001 et sur décision du ministre de l’éducation, d’une commission d’historiens « sur le racisme et le négationnisme au sein de l’université Jean-Moulin Lyon III » et leur rapport (§ 52 - la Cour en reproduit divers extraits - § 17).
Nonobstant l’amnistie pénale (§ 54), la condamnation de la requérante dans un tel contexte, où la liberté d’expression est particulièrement garantie par les principes de la jurisprudence strasbourgeoise, constitue une violation de l’article 10 imputable à la France (§ 55).
Haguenauer c. France (Cour EDH, 5e Sect. 22 avril 2010, Req. n° 34050/05)
“Injures publiques envers un Professeur d’Université dans le cadre d’une polémique sur le racisme et le négationnisme au sein de l’université Jean-Moulin Lyon III”
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Actualités droits-libertés du 26 avril 2010 par Nicolas Hervieu
- Le communiqué de presse de la ville de Lyon ‘EVELYNE HAGUENAUER GAGNE SON RECOURS DEVANT LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME’