Belle du Seigneur ★ ★ ★ ★ ☆
Auteur : Albert Cohen
Roman français de 1968
Pages : 1110
Résumé : Ariane, jeune aristocrate protestante, a épousé Adrien, un petit bourgeois dont Solal, juif séducteur, est le responsable hiérarchique. Solal voudrait qu'elle l'aime vieux et laid. C'est sous l'apparence d'un vieillard édenté qu'il essaie de la séduire. Pour satisfaire son ambition, Adrien va tout faire inconsciemment pour favoriser leurs amours. Irrésistible, Solal l'est et Ariane succombe.
J'ai terminé ce week-end un livre qualifié du plus grand roman d'amour du XXème siècle. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce titre. Ce n'est pas de l'amour mais de l'anti-passion. Néanmoins, on se prette au jeu de ses amants, de leur débuts d'amour si passionnés, si beaux, si magnifiques qui passent. Loin de l'amour qui durera toujours tel que l'on connait par des oeuvres telles que Roméo et Juliette ou Tristan et Yseult, le leur est réel. D'ailleurs, tout dans ce roman semble réel. Tant l'époque, avec ses descriptions de la SDN, de la montée du nazisme, etc. Mais aussi les personnages qui ont une âme, leur façon propre de parler, leur carractère bien trempé mais pas pour autant stéréotypé.
Lire ce livre est presque un défi du haut de ses 1100 pages et malheureusement quelques passages m'ont paru longs et inutiles. Il faut dire que Cohen y multiplie les monologuesoù on suit les pensées des personnages, parfois sans le moindre signe de ponctuation et sans paragraphe. Chaque mots, chaque détail est dès lors important pour suivre le fil d'une pensée qui chemine d'une idée à l'autre sans avertissement.
C'est une oeuvre profonde, remplie de réflexion, de critique, d'amour, de désillusions, d'histoires de personnes différentes, prenantes ou non, c'est une oeuvre magnifique, un classique de la littérature mais à déconseillée au personne qui ne sont pas amoureuse de la lecture (ou non).
Extrait :
Ô joie, toutes leurs joies, joie d'être seuls, joie aussi d'être avec d'autres, ô cette joie complice de se regarder devant les autres et de se savoir amants devant les autres qui ne savaient pas, joie de sortir ensemble, joie d'aller au cinéma et de se serrer la main dans l'obscurité, et de se regarder lorsque la lumière revenait, et puis ils retournaient chez elle pour s'aimer mieux, lui orgueilleux d'elle, et tous se retournaient quand il passaient, et les vieux souffraient de tant d'amour et de beauté.
Ariane religieuse d’amour, Ariane et ses longues jambes chasseresses, Ariane et ses seins fastueux qu’elle
lui donnait, aimait lui donner, et elle se perdait dans cette douceur par lui, Ariane qui lui téléphonait à trois heures du matin pour lui demander s’il l’aimait et lui dire qu’elle l’aimait, et
ils ne se lassaient pas de ce prodige d’aimer, Ariane qui le raccompagnait chez lui, et ils ne pouvaient pas se quitter, ne pouvaient pas, et le lit des amours les accueillait, beaux et chanceux,
vaste lit où elle disait que personne avant lui et personne après lui, et elle pleurait de joie sous lui.
Tu es belle, lui disait-il. Je suis la belle du seigneur, souriait-elle. Ariane, ses yeux soudain traqués lorsque, dissimulant son amour, il inventait une
froideur pour être plus aimé encore, Ariane qui l’appelait sa joie et son tourment, son méchant et son tourmente-chrétien, mais aussi frère de l’âme, Ariane, la vive, la tournoyante,
l’ensoleillée, la géniale aux télégrammes de cent mots d’amour, tant de télégrammes pour que l’aimé en voyage sût dans une heure, sût vite combien l’aimante aimée l’aimait sans cesse, et une
heure après l’envoi elle lisait le brouillon du télégramme, lisait le télégramme en même temps que lui, pour être avec lui, et aussi pour savourer le bonheur de l’aimé, l’admiration de
l’aimé.
Jalousies d’elle, séparations pour toujours, retrouvailles, langues mêlées, pleurs de joie, lettres, ô lettres des débuts, lettres envoyées et lettres reçues, lettres qui
avec les préparatifs pour l’aimé et les attentes de l’aimé étaient le meilleur de l’amour, lettres qu’elle soignait, tant de brouillons préalables, lettres qu’elle soignait pour que tout ce qui
lui venait d’elle fût admirable et parfait. Lui choc de sang à la poitrine lorsqu’il reconnaissait l’écriture sur l’enveloppe, et il emportait la lettre partout avec lui.
Lettres, ô lettres des débuts, attente des lettres de l’aimé en voyage, attentes du facteur, et elle allait sur la route pour la voir arriver et avoir vite la lettre. Le
soir, avant de s’endormir, elle la posait sur la table de chevet, afin de la savoir près d’elle pendant son sommeil et de la trouver tout de suite demain matin, lettre tant de fois relue au
réveil, puis elle la laissait reposer, avec courage s’en tenait loin pendant des heures pour pouvoir la relire toute neuve et la ressentir, lettre chérie qu’elle respirait pour croire y trouver
l’odeur de l’aimé, et elle examinait aussi l’enveloppe, studieusement l’adresse qu’il avait écrite, et même le timbre qu’il avait collé, et s’il était bien collé à droite et tout droit, c’était
aussi une preuve d’amour.
Solal et son Ariane, hautes nudités à la proue de leur amour qui cinglait, princes du soleil et de la mer, immortels à la proue, et ils se regardaient sans cesse dans le
délire sublime des débuts.
Edition Folio p. 464-466