Avec The Time of Angels, Steven Moffat renoue avec ses apports majeurs des saisons précédentes, issues de l'ère de R. T. Davies. La première partie de ce double épisode marque en effet le retour d'une des créatures les plus marquantes de ces dernières saisons, auxquelles demeure associé l'ordre qui résonne encore dans la tête du téléspectateur lorsqu'il éteint sa télévision, "Do not blink" : je veux bien entendu parler des Weeping Angels. Mais c'est également l'occasion de vivre une nouvelle aventure dans la vie (très) mouvementée de River Song, pour une première rencontre avec Eleven qui tient toutes ses promesses, tant l'alchimie entre Alex Kingston et Matt Smith est flagrante. En résumé, c'est du grand Doctor Who qui nous est proposé au cours de la première partie de ce double épisode.
Construit sur un schéma similaire au précédent double épisode mettant en scène l'introduction de River Song dans l'univers Whonesque (Silence in the librairy/Forest of the Dead), se déroulant toujours dans ce fameux LIe siècle si cher à l'imagination fertile des scénaristes, le Docteur répond une nouvelle fois à l'appel pressant d'une River Song aux nerfs d'acier qui exploite les paradoxes temporels et sa connaissance du Time Lord avec une maîtrise et un sang froid impressionnants. Après une introduction aux accents cinéphiles, dans un style James Bond revendiqué, c'est en effet par le biais de la "boîte noire" d'un vaisseau, exposé dans un musée visité par le Docteur 12.000 ans plus tard, que River transmet avec assurance un message de vie ou de mort à ce dernier, avant de s'auto-air-locker de l'appareil dans lequel elle se trouvait en infraction.
La première rencontre entre Eleven et River va se révéler à la hauteur des attentes du téléspectateur. Le caractère et la personnalité entreprenante de River font merveille aux côtés d'un Docteur qui ne maîtrise pas encore l'ensemble de son univers, suite à sa regénération. Ainsi River prend-elle en main la poursuite du vaisseau qu'elle vient de quitter, s'installant avec aplomb aux commandes du Tardis. Si elle fait perdre au vol le caractère pittoresque et atypique que le Docteur entretient, l'efficacité est en revanche maximale. Mais rien que pour provoquer l'imitation du bruitage du Tardis par Eleven, son incontournable associé à l'attérissage, la scène vaut son pesant de cacahouètes.
Si le personnage de River gagne à chaque rencontre en complexité, découvrant également une part de zones d'ombres, les scénaristes poursuivent, avec une certaine maline, la narration de sa relation avec le Docteur à travers le tourbillon chaotique de leurs timelines respectives qui s'entrecroisent, sans respecter la plus basique des chronologies. Témoin privilégié d'une histoire vécue suivant le point de vue du Docteur, le téléspectateur observe cela avec un mélange de fascination pour la solidité de liens forgés dans de telles conditions - même s'il nous manque une bonne partie de l'histoire fondatrice - et de curiosité face à ce personnage fort, mais également mystérieux, qu'incarne River. En gardant ses secrets et, présentement, en ne révèlant pas toute la vérité sur la mission dans laquelle elle entraîne le Docteur, elle cultive un côté toujours plus intriguant. La confiance aveugle qui lui est accordée naturellement se mêle d'ambiguïté, une ambivalence du personnage qui lui confère une dimension supplémentaire. N'est-ce pas aussi cela qui fait d'elle quelqu'un de très "spécial", ne la réduisant pas à son seul lien avec notre Time Lord ?
Outre River Song, l'épisode s'annonçait assurément mémorable en raison du retour d'une des créatures mythologiques les plus fascinantes de l'univers Whonesque, les Weeping Angels. Ils sont restés dans l'imaginaire du téléspectateur ces êtres inquiétants qui délivrèrent un des plus glaçants, et réussis, épisode de la série depuis son retour en 2005, Blink. Steven Moffat avait alors démontré avec quelle maestria il pouvait s'arroger le droit de jouer avec les peurs et les instincts du téléspectateur, sans pour autant jamais franchir la frontière du divertissement familial. Avec une aisance déconcertante, le scénariste poursuit donc sa juste exploitation des irrationnelles craintes qui se dissimulent dans les recoins de l'esprit humain. Il parvient à faire prendre forme à des concepts, dont la simplicité, étonnamment authentique, se révèle plus marquante que bien des débauches d'effets spéciaux : "Do not blink". Le vrai pouvoir de ces storylines réside dans l'ambiance et la suggestion qu'elles sont capables de générer. The Time of Angels embrasse cet héritage.
Conduite avec efficacité, la réintroduction des Angels s'opère pourtant avec relativement peu d'explications. Du moins, pour le moment. Si River embarque le Docteur dans cette mission sans sourciller, s'assurant pragmatiquement du seul renfort qui peut compter face à de tels êtres - l'enthousiasme encore naïf d'Amy achevant les dernières résistances du Time Lord -, la fière aventurière du LIe siècle cache ses propres secrets. Il manque au téléspectateur certaines pièces du puzzle sans doute déterminantes pour comprendre ce qui est en jeu. Conduisant une expédition d'ecclésiastiques-soldats, la jeune femme semble avoir conclu, avec ces derniers, un accord duquel ne nous sont données que quelques bribes d'indices, parcellaires et distillées au compte-goutte. Insuffisant pour pleinement cerner tous les tenants et aboutissants, mais parfait pour intriguer et aiguiser la curiosité du téléspectateur, ce qui est bien là l'essentiel.
Le téléspectateur se retrouve immédiatement plongé dans une aventure très prenante, dont il faut saluer la construction narrative. Après avoir sauvé River, sur l'impulsion de cette dernière, le Docteur suit le vaisseau d'où elle s'est éjectée, jusqu'à la fin de ce dernier... assistant à son crash dans les vestiges archéologiques en ruine d'une planète autrefois occupée par une ancienne civilisation, mais désormais colonisée par la race humaine. Or, à son bord, expliquant d'ailleurs la présence de River, se trouvait une créature "de légende" : un Weeping Angel. Dans un état pseudo-dormant depuis sa découverte il y a quelques temps déjà, statue de pierre à l'apparence imperturbable. Cependant, le crash et l'énergie générée rompent logiquement cette fragile trêve. A partir de là, ce ne sont que difficultés sur difficultés qui ne vont cesser de surgir pour le Docteur et ses compagnons. La situation empire au fur et à mesure que sa complexité réelle se fait jour. Une seule chose est certaine : cela va être l'occasion d'en apprendre bien plus sur les Anges.
Ce qui est très intéressant dans la façon dont The Time of Angels se déroule, c'est que, même s'il ne s'agit que d'une première partie, l'épisode ne perd pas son temps en longues expositions inutiles. Au contraire, il s'apprécie par lui-même, la tension allant crescendo. A ce titre, il est particulièrement opportun que le premier face-à-face avec cette angoisse qu'incarnent et reflètent les Weeping Angels est lieu par le biais d'une confrontation avec une simple représentation qui prend corps sous le regard effrayé d'Amy. En plus de replacer la jeune femme sur le devant d'une storyline d'où elle a été éclipsée par la forte présence de River, c'est une première petite mise en bouche des plus piquantes, qui plonge instantanément le téléspectateur dans la tension ambiante. *Do not blink*
Aventure divertissante, où l'humour n'hésite pas à poindre en dépit de l'urgence d'une situation qui tourne finalement au drame, il convient de préciser que l'épisode s'inscrit dans une tonalité très différente de celle, plutôt atypique, qui avait contribué à la spécificité de Blink. Loin de l'ambiance presque effrayante qui régnait alors, nous sommes ici dans un registre d'action, résolument divertissant et dynamique. Au-delà des piques de tension engendrées par le maniement d'une si fascinante et inquiétante créature, les réparties échangées entre River et le Docteur assurent des moments plus légers. Moins crispant que Blink, The Time of Angels apparaît, dans cette première partie, comme une évolution logique : la continuation légitime de l'exploitation de des Anges au sein de l'univers Whonesque, offrant du divertissement de grand spectacle.
Bilan : The Time of Angels représente le coktail parfait, entre suspense, aventure, humour et drame, que l'on peut légitimement attendre d'un épisode de Doctor Who. Nous plongeant dans une aventure prenante et rythmée, l'épisode est une réussite sur un plan humain (la relation entre le Docteur et River devient à chaque ligne plus intriguante), mais aussi dans ce registre tant apprécié du vrai divertissement, maniant habilement les ruptures et changements de tons. Du Doctor Who comme on l'aime en somme. En dépit du fait qu'il s'agisse de la première partie d'un arc plus long, l'épisode s'apprécie par lui-même, très plaisant à suivre, et se terminant, comme il se doit, sur un cliffhanger à vous faire regretter de ne pas avoir sous la main votre propre Tardis pour être déjà samedi prochain !
NOTE : 9/10
La bande-annonce du prochain épisode, Flesh and Stone (la seconde partie) :