À lire, la chronique d’Yves de Kerdrel dans Le Figaro :
Ce n’est pas parce qu’une absurdité est partagée par le plus grand nombre, qu’elle devient une vérité. Mais le fait d’être largement répandue dans l’opinion publique en fait un argument d’autant plus difficile à abattre, même avec les idées les plus simples. Prenons l’exemple de cette fameuse taxe que la plupart des gouvernements veulent imposer à leurs banques ou à certaines de leurs activités. En voilà une idée fameuse ! Taxer une profession dont l’opinion n’a pas une haute idée, faire payer ces institutions qui se sont trouvées au cœur de la crise financière, et faire rendre gorge à des maisons qui affichent de nouveau des profits substantiels, c’est naturellement une proposition qui fait l’unanimité dans les opinions publiques. C’est du même coup une belle occasion pour ces experts du G 20 de passer enfin pour les bonnes fées de la planète.
Voilà comment est née cette idée inepte et pourtant saluée, comme si c’était la créature du dernier des Nobel. Au rang des professions les plus détestées, il y a bien sûr les assureurs, les huissiers, les croque-morts et les banquiers, surtout lorsqu’ils refusent un crédit ou s’étonnent d’un découvert un peu excessif. Voilà pour l’inconscient collectif, auxquelles se sont rajoutées l’arrogance d’un Goldman Sachs, ou la faillite d’un Lehmann. Tout cela constitue un terreau formidable à la portée de l’élite mondiale, pour faire prospérer l’idée d’une taxe bancaire qui ferait rentrer dans l’ordre cette profession décidément un peu trop puissante.
D’autant qu’il n’y a pas un grand pays qui ne veuille pas réguler, codifier, ou mettre de l’ordre dans les professions financières, ne serait-ce que pour montrer -ou faire croire- à leurs électeurs qu’ils ont retenu les leçons de l’automne 2008. Le problème, c’est qu’en France, en Allemagne, et dans beaucoup de pays européens on confond facilement «régulation» et réglementation. La régulation à la britannique ne signifie pas une succession de taxes, d’interdits ou de lois. Ce sont plutôt des codes de bonne pratique. Mais outre-Manche où l’activité bancaire est l’une des pépites du royaume, on a compris, depuis belle lurette, qu’il ne fallait surtout pas tuer la poule aux œufs d’or. En France, comme en Allemagne, et dans quelques autres pays, une certaine élite autoproclamée, des gens que l’on appelle les «sachants» car on n’ose même plus les appeler «experts», tant ils se sont trompés à de nombreuses reprises, ont estimé qu’en instaurant une taxe sur les profits des banques, cela permettrait de constituer une cagnotte pour leur venir en aide… lors de la prochaine crise. Sauf que cette taxe ira bien sûr dans le budget général de l’État, et servira à payer les fins de mois de la fonction publique !
Mais a-t-on pensé que chaque euro gagné par les banques permet de faire douze euros de crédit supplémentaire ? Chaque euro mis en réserve, dans ces établissements -dont Louise de Vilmorin disait «comment ne pas leur faire confiance, alors qu’ils accrochent même les stylos avec des chaînes ?»- va servir non pas à faire de l’agiotage, comme l’explique Laurent Fabius, mais du crédit. Et faire du crédit, c’est sans doute l’une des activités les plus difficiles au monde, qui demande une excellente connaissance des risques. Mais c’est une activité vitale à l’activité économique. Sans distribution de crédit, la croissance s’étouffe et meurt.
Pourquoi quelques banquiers centraux ont eu le courage, en septembre 2008, de sauver les banques coûte que coûte ? Tout simplement parce que les travaux de l’économiste Irving Fisher avaient montré que pour éviter une dépression de type 1929, il fallait garder des banques capables de soutenir les industriels, les commerces et même les consommateurs. Et si la France a enregistré, en 2009, une décélération moins forte que celle de la plupart des pays européens, ce n’est pas quoi qu’on en dise dans les milieux bien-pensants, à cause de «ce-modèle-social-que-le-monde-entier-nous-envie», mais parce que les banques ont augmenté en moyenne de 2,7% la distribution de crédit.
La croissance potentielle française, estimée par le Trésor pour les quarante prochaines années, ne dépasse pas 1,7% dans le meilleur des cas, quand la planète économique va continuer à tourner à une vitesse d’au moins 4%, grâce aux pays «submergents». Face à ce constat simple, soit on se donne les atouts pour libérer la croissance potentielle, desserrer les mailles absurdes qui réduisent l’esprit d’initiative et tenter de conserver un peu de notre place sur l’échiquier mondial. Soit on taxe les banques, comme on voulait taxer les industriels en prétextant de la pollution et comme on a taxé pendant trente ans l’investissement. Et dans ce cas il faut se préparer à jouer dans une autre cour de récréation que celle du G 20.