Ces documents viennent jeter le trouble sur la légalité du financement de la campagne présidentielle de l’ancien premier ministre dont l’un des principaux acteurs et soutiens n’était autre que Nicolas Sarkozy. Il fut à la fois ministre du budget du gouvernement Balladur (1993-1995) et porte-parole de la campagne incriminée.Evoqués ce matin par Libération, ces documents ont été envoyés anonymement, le 22 février 2010, à l’avocat parisien Olivier Morice, conseil de plusieurs familles de victimes de l’attentat de Karachi, qui a fait quinze morts dont onze Français employés de la Direction des constructions navales (DCN) le 8 mai 2002.
Potentiellement explosifs, ils ont ensuite été transmis au juge antiterroriste Marc Trévidic, chargé de l’enquête sur les causes de l’attentat de Karachi. Le magistrat s’est à son tour empressé de les communiquer au parquet de Paris, qui avait ouvert au début du mois de l’année une enquête préliminaire à la suite d’une plainte de Me Morice visant un éventuel financement illicite de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur.
La justice cherche aujourd’hui à découvrir si plusieurs contrats d’armement signés entre 1993 et 1995 par le gouvernement Balladur, en particulier celui portant sur la vente en septembre 1994 au Pakistan de trois sous-marins Agosta fabriqués par la direction des constructions navales (DCN), ont pu être à l’origine de montages financiers destinés à «sponsoriser» la campagne électorale de 1995 de celui qui était alors premier ministre, et ce par le biais d’un système de rétrocommissions.
Le contrat Agosta avait été signé par le ministre de la défense de l’époque, François Léotard. Son plan de financement, qui incluait le versement de commissions à des intermédiaires libanais proches des cercles balladuriens, fut quant à lui validé par son homologue du budget, Nicolas Sarkozy. MM. Léotard et Sarkozy furent tous deux des soutiens de premier plan pour Edouard Balladur dans sa conquête (malheureuse) de l’Elysée.
Que disent précisément les documents que Mediapart publie aujourd’hui? Le courrier anonyme reçu par Olivier Morice est composé d’une coupure de presse, reprenant des déclarations de l’avocat sur l’affaire de Karachi, accompagnée de deux bordereaux bancaires. Ceux-ci proviennent de l’agence Haussmann du Crédit du Nord et font état de deux mouvements de fonds intervenus en avril 1995 sur le compte n° 327 548 2 dont le titulaire est l’«AFICEB».
« Non, vraiment, je ne comprends pas »
Le premier bordereau porte la date du 26 avril 1995, soit trois jours après le premier tour marqué, dimanche 23 avril, par l’élimination du candidat Balladur, arrivé troisième derrière Lionel
Jospin et Jacques Chirac. Il mentionne une remise d’espèces de 10.250.000 francs. Une note manuscrite à en-tête du Crédit du Nord fait état du dépôt de «quatre sacs» remplis d’argent
liquide. Il n’est pas inutile de constater à la lecture de cette note que les sacs en question ne sont remplis que de coupures de billets de 100 et 500 francs.
Le lendemain, 27 avril, un dépôt plus modeste (200.000 francs) est effectué sur le même compte, toujours en liquide. En bas du bordereau, il est écrit, à la main: «Compléments/versement espèces du 26/04».
S’il paraît surprenant que plus de dix millions de francs aient pu atterrir, en une seule fois, sur le compte de l’Aficeb, a fortiori trois jours après la défaite d’Edouard Balladur, il n’en demeure pas moins que la circulation des espèces n’était pas forcément illicite à cette période. En vertu de lois de 1988, 1990 et 1995, les dons des personnes physiques aux candidats étaient autorisés, à condition d’être plafonnés à 30.000 francs par personne, dont seulement 1.000 francs en liquide.
En outre, le montant global des dons en espèce (donc inférieurs à 1.000 francs par donateur) ne pouvait excéder 20% du montant total des dépenses autorisées par candidat. Soit, dans le cas de M. Balladur, qui pouvait dépenser 90 millions de francs, une somme de 18 millions de francs.
Reste à savoir pourquoi le compte en banque de l’association balladurienne a été crédité au lendemain du premier tour de la présidentielle d’espèces exclusivement composées de billets en grosses coupures. Interrogé mi-avril par Mediapart, le trésorier de la campagne d’Edouard Balladur est resté un instant interdit devant les documents bancaires que nous lui avons soumis: «Cela ne me dit rien. Une telle somme, tout de même, je ne l’aurais pas oubliée», a assuré René Galy-Dejean, ancien député et maire du XVe arrondissement de Paris.
«Ce qui me trouble le plus, a-t-il ajouté, c’est qu’il s’agisse de grosses coupures, alors que je n’en voyais quasiment jamais passer.» L’ancien trésorier explique en effet que l’essentiel des espèces était collecté à l’occasion des meetings.
«C’était une source de financement non négligeable. Je me souviens notamment d’un des derniers meetings, au Bourget, fin mars 1995, au cours duquel on avait essayé d’extraire le maximum d’argent. C’est le député Hugues Bassot (décédé dans un accident de voiture en décembre 1995, NDLR) qui collectait les fonds. Mais c’était l’argent des militants et des sympathisants, donc presque toujours des petites coupures, comme des billets de 10, 20 voire 50F, et jamais des billets neufs. Non, vraiment, je ne comprends pas…»
Sollicité, Edouard Balladur n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.
Fabrice Arfi pour “Mediapart”
merci à Section du Parti socialiste de l'île de ré
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