Notre passé aéronautique tend dangereusement ŕ s’évaporer, faute de mesures adéquates. La fibre historique anime rarement les dirigeants d’entreprises tandis que la généralisation de l’informatique accélčre la disparition des documents qui ne sont pas directement soumis ŕ des contraintes légales. Des disques durs vierges remplacent ceux qui sont saturés, les mémoires informatiques sont vidées pour faire place nette et, ensuite, il ne reste rien. Curieusement, il a fallu attendre trčs longtemps, trop longtemps, pour que des voix autorisées s’élčvent pour demander que s’arręte ce désastre.
Dans les entreprises elles-męmes, tout d’abord, ici et lŕ, des mesures sont prises, in extremis, grâce ŕ des bénévoles, des associations, voire les dirigeants eux-męmes. C’est le cas, par exemple, d’Aerospatiale Matra-patrimoine d’EADS, du département Ť Airitage ť du męme groupe multinational, de Dassault Aviation et Snecma ou encore du Musée Air France. La DGAC, pour sa part, a entrepris un travail remarquable ŕ l’initiative de sa mission Mémoire de l’aviation civile. D’autres initiatives jouent un rôle important, comme l’Aérothęque de Toulouse ou encore des actions ponctuelles comme celle de la ville de Blagnac qui a racheté l’essentiel du fonds aviation du célčbre photographe Jean Dieuzaide. Mais c’est encore insuffisant. Souvent, il est trop tard, ailleurs, il est devenu urgent d’intervenir.
C’est toujours difficile, délicat, compliqué, comme le prouve un exemple d’actualité, celui de la préservation d’un lieu de mémoire sur le site de l’ancien aérodrome de Montaudran, celui de l’Aéropostale et de Latécočre. Air France Industries a quitté les lieux, les a vendus, sauf 12 hectares ŕ consacrer précisément ŕ la célébration du passé. En aoűt 1997, le ministčre de la Culture a inscrit ŕ l’inventaire des monuments historiques les halles de montage Latécočre, une salle d’attente des passagers, une partie de la piste et ce qu’il est convenu d’appeler le château du Petit Espinet Raynal oů se trouvaient les bureaux de l’Aéropostale. A commencer par celui de Didier Daurat.
La suite est instructive dans la mesure oů elle illustre les nombreuses difficultés qui peuvent se présenter sur la route de la préservation du patrimoine aéronautique. Une succession d’initiatives avortées, de rebondissements politiques et budgétaires, a vu naître puis s’éteindre un projet de plus en plus ambitieux, devenu Ť parc ŕ thčme ť de grande envergure. Il s’est ensuite envolé dans la foulée d’élections municipales, la nouvelle équipe venue aux affaires dans la Ville rose ayant fait machine arričre aprčs une longue réflexion.
Attendre n’aurait pas posé de problčme particulier si, en 2009, n’avait été délivré un permis de construire portant sur une série d’immeubles ŕ appartements situés de l’autre côté de la piste, cela par rapport aux bâtiments classés. Ils sont en cours d’achčvement. Plus grave, cette année, le promoteur Kaufman et Broad a obtenu un autre permis de construire, côté Ťaérogareť, pour une quinzaine d’immeubles supplémentaires (notre illustration). Autant dire que les derniers espoirs de préserver l’âme du Montaudran historique se sont envolés.
Définitivement ? Peut-ętre pas. Outre une levée de boucliers au cœur du milieu aéronautique, l’association Toulouse-Montaudran-mémoire d’avenir est passée ŕ l’action : deux recours auprčs de Pierre Cohen, maire de Toulouse, pour demander l’annulation du permis de construire, trois recours devant le tribunal administratif de Toulouse et, enfin, un recours auprčs du ministčre de la Culture. Frédéric Mitterrand est-il sensible ŕ l’histoire de l’aviation ? Nous le saurons bientôt.
Le dossier Montaudran est exemplaire et, quel qu’en soit l’épilogue, pčsera ŕ coup sűr sur la suite des événements. L’Académie de l’air et de l’espace, dont le sičge est précisément installé ŕ Toulouse, a entamé de travail de longue haleine dans l’espoir d’endiguer le mal et susciter une prise de conscience nationale. Et cela quelles que soient les difficultés.
La réflexion mériterait de s’étendre ŕ des pays voisins. Ainsi, notre confrčre belge Patrick Anspach, commentant le psychodrame toulousain, nous fait remarquer que les bâtiments historiques de l’ancien aéroport de Bruxelles-Haren, ont récemment été rasés, sans autre forme de procčs. Il s’agissait de faire de la place pour ériger le nouveau sičge de l’OTAN mais l’organisation n’en demandait pas tant. Les politiques ont apparemment cru bien faire. Et, bien sűr, la Sabena n’était plus lŕ pour faire entendre sa voix.
Le dossier Montaudran, mal parti, conduit ŕ craindre le pire. A moins, bien sűr, qu’une prise de conscience ne devienne rapidement réalité, grâce ŕ l’union des bonnes volontés. Et pour autant qu’elles soient capables de parler d’une seule voix.
Pierre Sparaco - AeroMorning