Emmanuel Dongala : Photo de groupe au bord du fleuve

Par Gangoueus @lareus

Marie Ndiaye nous a récemment proposé le portrait de 3 femmes puissantes. Le doc a tout simplement multiplié par cinq la concentration de sa solution concoctée en laboratoire (*). On se comprend. Résultat des courses : 15 femmes puissantes dont il esquisse le cheminement au fil des pages de sa récente publication Photo de groupe au bord du fleuve.
15 femmes congolaises cassent des pierres au bord du grand fleuve. Elles ont chacune une histoire qui les a conduites vers ce chantier où le jour durant elles s’exercent à cette tâche difficile. La construction en cours d’un grand aéroport dans une zone marécageuse nécessite les graviers et pierres qu’elles produisent, et la demande fait exploser les prix de la pierre livrée pour tous les éléments de chaîne sauf pour ces femmes. Quand elles prennent conscience de cet état de fait, elles décident d’augmenter de 50% le montant du sac de pierres…
Alorsqu’elles viennent de faire connaître leur volonté aux opérateurs qui acheminent vers la caillasse vers le site de construction, elles immortalisent cet acte fondateur de leur mouvement par une photo de groupe. Face à la détermination de nos bonnes dames, la répression des opérateurs économiques qui n’entendent pas partager leurs dividendes, cette répression – par l’entremise des forces de l’ordre - est immédiate et violente.
Emmanuel Dongala, se propose donc de nous narrer ce conflit social, en suivant pas à pas le personnage de Méréana. L’écrivain choisit d’établir une distance avec ce personnage en décrivant à la deuxième personne du singulier. Tu. Introduisant à la fois distance et familiarité avec Méréana. On peut concevoir la nécessité d’un tel artifice comme une forme d‘humilité du romancier congolais par rapport au vécu et à la souffrance des femmes congolaises.« J’ai pu constater pendant la guerre civile qu’il n’y avait pas de commune mesure entre les souffrances subies par les hommes et celles subies par les femmes ». Je paraphrase l’auteur.
Artifice qui a libéré la plume de l’écrivain. Il faut prendre le temps de s’habituer à cette forme d’écriture très incantatoire pour reprendre l’expression de François Busnuel. Au fil des pages, on s’habitue à ce fait original.
Le texte alterne la description du conflit entre ces travailleuses en situation de précarité et un pouvoir politique qui se prépare à recevoir une rencontre internationale sur la condition de la femme, sous les auspices de l’épouse du chef de l’état. Ce paramètre est important dans l’évolution du conflit. En parallèle, il introduit des ruptures dans cette peinture, pour décrypter le cas de chacune de ces femmes qui par leurs noms reflètent tout le Congo : Moukiétou, Ossolo, Bilala, Laurentine Paka, Mâ Bileko, Vutula, etc.
Deuxièmes bureaux, femmes battues, veuves dépouillées par des familles cupides, mariées de force, accusées de sorcellerie, violées durant la récente guerre civile, elles sont toutes sont victimes de la domination masculine, de la vacuité de certaines traditions ancestrales.
Mais Dongala sait nuancer son propos et pointer le doigt sur la responsabilité de la femme. Surtout quand celle-ci a une parcelle de pouvoir.
Instruite, portée par le souvenir de sa petite sœur, intellectuelle trop tôt disparue, Méréana analyse l’histoire de ces femmes tout en conduisant leurs revendications, en négociant avec les autorités, profitant d’un concours de circonstances favorables... On la suit dans son combat, ses contradictions, ses souvenirs. On s’attache à ce personnage haut en couleurs.
L’écrivain laisse une porte ouverte vers le monde, juxtaposant le combat de ces femmes en Afrique avec d’autres tragédies de grand village planétairequi nous parviennent par le biais de brèves de journaux radiodiffusés que Méréana écoute avant d’aller travailler. 
Comme c'est souvent le cas dans les romans d 'Emmanuel Dongala, on retrouve ce sourire, ce ton parfois ironique sur certaines descriptions qui prend le relais de passages plus douloureux. Même dans la souffrance, le comique, le rire n'est jamais loin.
Après avoir donné la voix à la jeunesse congolaise mutilée par une longue période trouble, Emmanuel Dongala octroie la parole aux femmes. Le salut de société civile congolaise viendra-t-il par ces dernières ? Le combat social semble toujours d'actualité et ce texte retentit comme un hymne à la femme africaine, un hymne à la femme tout simplement.
Un coup de coeur.
Emmanuel Dongala, Photo de groupe au bord du fleuveEdition Actes Sud, 336 pages, paru en avril 2010.
Voir l'interview qu'il accorde à Jeune Afrique.(*) Emmanuel Dongala a enseigné la chimie à la fac des sciences de Brazzaville avant de s’exiler vers les Etats Unis.