Ne rien dire ne me convenait pas davantage.
J'étais beaucoup plus à l'aise quand il s'agissait de rendre compte de "Katyn", le film magistral de Wajda, qui n'est toujours pas diffusé en Suisse ...
Aussi, quand j'ai lu tout récemment le discours ici que le président polonais, Lech Kaczynski [la photo provient d'ici], devait prononcer à Katyn il y a 15 jours, me suis-je dit que le meilleur hommage que je pouvais rendre à la mémoire de tous les Polonais morts lors du crash du 10 avril 2010 était de traduire ce discours en français.
Francis Richard
Liberté et vérité
1.
C’est arrivé il y a 70 ans. Ils ont été ligotés et tués d’une balle dans la tête, comme cela il y avait moins de sang répandu. Plus tard les corps – encore vêtus de leurs uniformes arborant des aigles – ont été placés dans des fosses profondes. Ici, à Katyn, quatre mille quatre cents personnes sont mortes de cette manière. A Katyn, Kharkiv, Tver, Kiev, Kherson et Minsk, 21'768 personnes au total sont mortes.
Les personnes assassinées étaient des citoyens polonais, des personnes de toutes confessions et professions ; des militaires, des policiers, des civils. Il y avait des généraux et des officiers de métier, des professeurs et des enseignants de village. Il y avait des aumôniers militaires de différentes confessions : Catholique, le Rabbin de l’Armée Polonaise, l'Aumônier Grec Catholique et l'Aumônier Orthodoxe.
Nous nous référons à tous ces crimes, bien que commis dans des endroits différents, comme au Crime de Katyn. Ce qu’ils ont en commun c’est la nationalité des victimes et la même décision prise par les mêmes auteurs.
2.
Le Crime a été commis sur ordre de Staline avec l’approbation de la plus haute instance de l’Union Soviétique : le Politburo du Parti Communiste Soviétique. La décision de tuer a été prise le 5 mars 1940, sur la suggestion de Lavrentiy Beria. Il a justifié sa recommandation en disant que les prisonniers étaient des « ennemis déclarés de l’Union Soviétique, sans espoir de rééducation ».
3.
Ces personnes ont été tuées sans procès et sans jugements, assassinées en violation des lois et des conventions du monde civilisé.
Comment peut-on appeler la mort de dizaines de milliers de personnes – de citoyens polonais – sans procès ? Comment peut-on appeler cela autrement que génocide ? Si ce n’était pas un génocide, alors qu’est-ce qu’un génocide ?
4.
Nous continuons de nous poser une seule question : pourquoi ? Les historiens suggèrent que ce qui est arrivé est dû aux mécanismes du régime communiste. D’autres victimes sont enterrées tout près, dans la forêt de Katyn. Il y a là des milliers de Russes, d’Ukrainiens, de Biélorusses et de personnes d’autres nationalités.
Il y a aussi d’autres raisons sous-jacentes à ce crime, l’une d’elles étant le pacte Molotov-Ribbentrop qui a conduit à la quatrième partition de la Pologne. Il y a aussi les attentes impérialistes, nationalistes de Staline. Le Crime de Katyn est – comme l’a écrit Stanislaw Swianiewicz, un professeur qui au dernier moment a été exempté d’être emmené sur le lieu du massacre – une part de « l’activité (…) destinée à préparer le terrain pour une nouvelle expansion de l’empire des Soviets ».
Le crime a été un élément clé du plan destiné à détruire la Pologne libre : un pays qui – depuis 1920 – s’est trouvé sur le chemin du régime communiste pour conquérir l’Europe.
C’est pourquoi le NKVD a essayé de rééduquer les prisonniers : ils devaient soutenir les plans de conquête. Les officiers de Kozielsk et de Starobielsk ont choisi l’honneur et sont restés fidèles à leur Patrie.
Staline et le Politburo ont assouvi leur vengeance sur ceux qui ne voulaient pas céder : ils ont ordonné de les tuer. Les assassinés sont enterrés dans des fosses à Katyn, près de Kharkiv, et à Mednoye. Ces cavités étaient destinées à être le tombeau de la Pologne, de la République libre de Pologne.
5.
En juin 1941, l’Allemagne a envahi l’URSS : les anciens alliés de septembre 1936 sont devenus des ennemis mortels. L’URSS a rejoint l’alliance antinazie et le gouvernement de Moscou a rétabli les relations diplomatiques avec la Pologne – c'est l'objet de l'accord du 30 juillet 1941. Staline, Roosevelt et Churchill ont formé les « Trois Grands ».
Des millions de soldats de l’Armée Rouge – Russes, Ukrainiens, Biélorusses, Georgiens, Arméniens et Azerbaidjanais, aussi bien que d’autres peuples d’Asie Centrale – ont donné leur vie dans la lutte contre les troupes de Hitler. Américains, Anglais, Polonais et d’autres encore ont péri dans ce conflit.
Rappelons quelques faits : ce furent nous, les Polonais, qui, les premiers, nous sommes opposés à Hitler par les armes. Ce furent nous qui avons combattu l’Allemagne Nazie du début jusqu’à la fin de la guerre, et, à la fin de la guerre, notre armée était la quatrième en nombre de l’alliance antinazie.
Des Polonais ont combattu et sont morts sur tous les fronts : à Westerplatte et près de Kock, lors de la bataille d’Angleterre et à Monte-Cassino, près de Leningrad et à Berlin, et aussi dans les maquis et lors du soulèvement de Varsovie. Parmi nos soldats il y avait des frères et des enfants des victimes de Katyn.
Aleksander Fedoronko, l’aîné des fils de Szymon Fedoronko – le premier chapelain Orthodoxe mort à Katyn – est mort dans le 3ème Reich,dans un bombardier de l’Armée Polonaise, à l’âge de 26 ans. Le plus jeune fils de Szymon Fedoronko, Orest, un soldat de l’Armée Nationale Polonaise, âgé de 22 ans est mort le premier jour du soulèvement de Varsovie. Son frère plus âgé – Wiaczeslaw, 24 ans – a combattu avec le bataillon « Gurt » de l’Armée Nationale et a péri 17 jours plus tard.
En mai 1945 le 3ème Reich a perdu la guerre. Le régime totalitaire nazi s’est effondré et est tombé. Bientôt nous célébrerons le 65ème anniversaire de cet évènement.
Pour notre nation, cependant, c’est une amère victoire, un triomphe inachevé. Nous sommes tombés sous l’influence de Staline et du régime communiste. Après 1945 la Pologne existait, mais ce n’était plus une Pologne libre. Nous n’étions plus libres de choisir un système politique pour nous-mêmes et il y avait des tentatives de déformer nos souvenirs de l’histoire et de l’identité polonaises.
6.
Les mensonges au sujet de Katyn étaient une part de cette tentative de nous tromper et les historiens même se réfèrent à eux comme « les mensonges fondateurs » de la République Populaire de Pologne. Des mensonges nous ont été dits depuis 1943 et c’était en relation avec eux que Staline cessa les relations diplomatiques avec le gouvernement polonais.
Le monde n’était pas supposé connaître la vérité – les familles des victimes ne pouvaient pas porter leur deuil en public, ne pouvaient pas les pleurer et leur rendre un dernier et décent hommage.
Les mensonges étaient soutenus par le pouvoir de l’empire totalitaire et par les autorités communistes polonaises. Les gens qui disaient la vérité sur Katyn , parfois des étudiants, l’ont payé très cher. En 1949, Jozef Balka, un étudiant de 20 ans, de Chelm, a été condamné à trois ans de prison par une cour martiale pour avoir osé dire la vérité sur Katyn dans sa classe.
Il semblait que – comme l’a dit le poète – les seuls témoins du Crime seraient « les inflexibles boutons » trouvés dans les tombes à Katyn.
Il y a cependant aussi des gens qui ne voulaient pas céder et – après quatre décennies – le Goliath totalitaire a été défait. La vérité – l’arme ultime contre la violence – a triomphé. La République Populaire de Pologne était basée sur les mensonges au sujet de Katyn et maintenant la vérité sur Katyn constitue le fondement d’une Pologne libre. C’est une grande réussite des familles de Katyn et de leur lutte pour la mémoire de leurs chers disparus – c’était aussi une lutte pour la mémoire et de l’identité de la Pologne au sens large. C’est aussi une réussite de la jeunesse, des étudiants tels que Josef Balka, et des enseignants – bien qu’il leur ait été interdit de le faire – ont dit aux enfants la vérité. Nous devrions aussi être reconnaissants envers les prêtres, dont le prélat Zdzislaw Peszkowski et le Révérend Stefan Niedzielak qui a proposé qu’une croix en mémoire des victimes de Katyn soit placée dans le cimetière de Powazki et qui a été assassiné en janvier 1989. Nous devrions être reconnaissants aux éditeurs de publications clandestines et nous devons aussi beaucoup aux initiatives indépendantes, au mouvement Solidarité et aux millions de parents qui ont raconté à leurs enfants la véritable histoire de la Pologne.
Le Premier Ministre de Pologne avait raison de dire, il y a juste deux jours, que les Polonais sont devenus unis comme une seule et grande famille de Katyn.
Je voudrais remercier tous les membres de cette communauté, particulièrement les amis et les parents des victimes. Nous avons été victorieux dans cette bataille contre les mensonges grâce à vous ! Vous avez bien servi votre pays !
Des Russes ont aussi beaucoup fait pour contrer les mensonges sur Katyn, particulièrement la société du Mémorial et ces avocats, ces historiens et ces fonctionnaires qui ont courageusement révélé la vérité sur les crimes de Staline.
7.
Katyn et les mensonges sur Katyn ont blessé profondément l’histoire polonaise et ils ont altéré les relations entre Polonais et Russes pendant des décennies.
Des relations durables ne peuvent se construire sur des mensonges. Les mensonges divisent les peuples et les nations. Les mensonges apportent avec eux haine et colère. C’est pourquoi nous avons besoin de vérité. Les discussions ne sont jamais d’égale importance mais ceux qui luttent pour la liberté ont raison.
Nous chrétiens le savons très bien : la vérité, quelque pénible qu’elle puisse être, nous rend libres. La vérité nous guide sur la route de la réconciliation. Que la blessure de Katyn guérisse enfin ! Nous sommes déjà sur la route de la réconciliation – en dépit des diverses tendances et obstacles – la vérité sur le Crime de Katyn est maintenant beaucoup plus manifeste qu’il y a un quart de siècle.
Nous apprécions ce que la Russie a fait au service de la vérité, y compris la visite que le Premier Ministre russe a rendu dans la forêt de Katyn mercredi [7 avril 2010], sur la tombe des victimes. Pourtant la vérité a besoin davantage que des mots – elle a aussi besoin d’actes.
Tous les documents relatifs à Katyn ont besoin d’être divulgués. Les circonstances entourant le crime doivent être examinés et expliqués. Ici, à Katyn, un dialogue entre les jeunesses de Pologne, de Russie, d’Ukraine et de Biélorussie, a besoin d’avoir lieu. Il est essentiel que l’innocence des victimes soit confirmée juridiquement. Nous avons besoin d’éradiquer les mensonges sur Katyn une fois pour toutes.
Nous devrions encore suivre la route qui conduit nos nations à être plus proches les unes des autres – nous ne devons pas nous arrêter et nous ne devons pas revenir en arrière. Cette route vers la réconciliation, toutefois, requiert que des signes soient présentés rapidement. Nous avons besoin de partenariat, nous avons besoin d’engager un dialogue sur un pied d'égalité – nous n’avons définitivement pas besoin de désir d’impérialisme. Nous avons besoin de penser aux valeurs que nous partageons : la démocratie, la liberté et le pluralisme ; des zones d’influence ne devraient plus avoir affaire entre nous.
8.
Le tragique Crime de Katyn et la bataille contre les mensonges en relation avec lui constituent une importante expérience pour les générations futures de Polonais. C’est une part de notre histoire, de notre mémoire, et identité – et c’est aussi une part de l’histoire de l’Europe et du monde au sens large. C’est un message qui touche chaque individu et toutes les nations, qui est relatif à la fois au passé et à l’avenir de la civilisation humaine.
Le crime de Katyn nous rappellera pour toujours la menace pour les nations et les peuples d’être asservis et détruits. Il nous rappellera que les mensonges peuvent en réalité être très puissants, mais ce sera aussi un symbole du fait que des peuples et des nations peuvent – même dans les pires difficultés – choisir la liberté et défendre la vérité.
Rendons hommage aux victimes en priant sur leurs tombes.
Gloire aux héros ! Vénérez leur mémoire !
Lech Kaczynski
Nous en sommes au
646e jour de privation de liberté pour Max Göldi, le
dernier otage suisse en Libye