Un changement de fond
Discours de François Bayrou en ouverture du congrès extraordinaire de l'UDF
Par http://mouvementdemocrate.fr/ - 30 novembre 2007Le 10 mai, dans un moment très émouvant, nous étions réunis à la Mutualité. C'était au lendemain de cette élection présidentielle que nous avons vécue avec passion et à la veille d'élections législatives dont nous savions comme elles allaient être dures. Et lors de ce conseil national nous avons pris une délibération, en une phrase, à la presque unanimité : " l'UDF appelle à la naissance d'un mouvement démocrate " Nous ignorions alors que cette simple phrase allait susciter chez des dizaines de milliers de Français un enthousiasme tel qu'ils allaient décider, le soir même, de nous rejoindre, d'adhérer à ce mouvement nouveau, pour changer les choses, un jour, dans notre pays. Si nous sommes réunis, cet après-midi, en congrès extraordinaire, c'est pour accomplir la construction que nous avons voulue ce jour-là. Car c'est bien de construction qu'il s'agit: la racine de " construire ", le verbe latin [...]
(seul le prononcé fait foi)
Mes chers amis,
Le 10 mai, dans un moment très émouvant, nous étions réunis à la Mutualité. C’était au lendemain de cette élection présidentielle que nous avons vécue avec passion et à la veille d’élections législatives dont nous savions comme elles allaient être dures. Et lors de ce conseil national nous avons pris une délibération, en une phrase, à la presque unanimité : « l’UDF appelle à la naissance d’un mouvement démocrate »…
Nous ignorions alors que cette simple phrase allait susciter chez des dizaines de milliers de Français un enthousiasme tel qu’ils allaient décider, le soir même, de nous rejoindre, d’adhérer à ce mouvement nouveau, pour changer les choses, un jour, dans notre pays.
Si nous sommes réunis, cet après-midi, en congrès extraordinaire, c’est pour accomplir la construction que nous avons voulue ce jour-là.
Car c’est bien de construction qu’il s’agit : la racine de « construire », le verbe latin struere signifie « entasser par couches successives », et la vie ce n’est pas autre chose que cela, enchaîner, de génération en génération, une génération à une autre, une couche à une autre. Et pour que les fondations prennent tout leur sens, il faut que le mur monte, et bientôt l’on découvre la force et la grâce de la maison ou de la cathédrale…
J’ai toujours aimé cette idée que nous sommes des maillons dans une chaîne, qui a pris naissance avant nous, et qui continuera après nous. Et chaque nouveau maillon, nous devons le forger, et le fêter.
Je vous dis cela avec l’allégresse de celui qui a connu de nombreux maillons et qui en voit naître un nouveau, dont il sait, dont il pressent, qu’il sera particulièrement important.
J’ai été de cette histoire, à chacune de ses étapes, très jeune homme, et puis homme mûr, à supposer qu’on mûrisse jamais.
Ma première adhésion, à peine âgé de 22 ans, c’était au Centre démocrate et aux réformateurs, que Jean Lecanuet, le protecteur de ma jeunesse avait créé par mutation du MRP dont il avait été le dernier président. Et j’ai encore dans l’oreille l’écho des protestations qu’avait suscitées ce passage du vieux parti démocrate-chrétien au nouveau parti plus laïque. Il y avait des gens, nombreux, bien intentionnés, qui voulaient que le MRP subsiste et ne change pas… Et il y avait des gens, nombreux, bien intentionnés, qui considéraient quelques années plus tard que la rencontre entre Lecanuet et JJSS, c’était hétérodoxe, c’était comme l’eau et le feu… J’étais, jeune homme de 25 ans, quelques années après au congrès fondateur du CDS, le centre des démocrates sociaux, par réunion du Centre démocrate et du CDP, les centristes séparés, les uns dans la majorité et les autres dans l’opposition. Et tous les députés, sauf deux, Jean Briane, qui est peut-être dans cette salle, et Pierre Abelin, étaient partis dans la majorité, à l’exception du groupe sénatorial, qui faisait vivre ensemble les uns et les autres… Et c’est là que Jean Lecanuet, avec beaucoup d’hésitations, que l’on entendait dans sa voix, a annoncé qu’il allait entamer un rapprochement avec les Républicains indépendants, qui allaient devenir le PR, et ce rapprochement, avec les radicaux, cela allait faire l’UDF, dont je serais, pas encore âgé de 27 ans, un des plus jeunes candidats de France, en 1978… Et je me souviens des grognements de militants et d’élus, contre ce changement, contre cette mutation, contre cet élargissement… Et puis, après l’aventure des rénovateurs, je suis devenu secrétaire général de l’UDF de Valéry Giscard d’Estaing, extraordinaire aventure humaine, amicale et sportive, tant nous nous épuisions, lui et moi, à persuader de travailler ensemble des gens qui ne voulaient que se déchirer… Et puis je suis devenu, à mon tour, le président du CDS, et nous l’avons transformé en Force démocrate, un jour de décembre 95, pendant les grèves, je me souviens, et il y avait des gens nombreux et bien intentionnés qui voulaient qu’on ne fasse pas ce changement, et qu’on reste sur la vieille construction… Et puis est venu, Anne-Marie Comparini, l’épisode terrible de 4 présidents de région qui ont fait, en catimini, alliance avec le front national, et après cela la mutation qu’on a appelée de la Nouvelle UDF. Et puis les Européennes de 99, avec 9 % des voix, et la présidentielle de 2002, si difficile, avec au bout du chemin, 7 % et deux millions de voix, et les Européennes de 2004, avec 11 % des voix, et l’élection présidentielle de 2007, avec 19 % et sept millions de suffrages…
Et aujourd’hui, nous sommes devant notre choix, et ce choix est notre destin.
J’ai aimé l’UDF. Mais je suis obligé de vous dire ceci : c’est une forme politique du passé. Il y a des moments dans la vie politique où le vieillissement de la forme empêche que l’on voit le jaillissement du fond.
C’est comme pour les arbres : il faut que tombe l’écorce qui a fait son temps pour que l’écorce nouvelle révèle la santé et la croissance de l’arbre qui pousse.
À chaque temps, sa forme politique ! Si au début des années 70, ceux qui voulaient garder la SFIO l’avaient emporté, le Parti Socialiste n’aurait pas connu ses trente glorieuses. Et aujourd’hui, tout montre qu’ils sont à nouveau devant la même exigence. Si, au milieu des années 70 Chirac avait cédé à ceux qui voulaient garder l’UDR, il n’aurait pas eu l’embellie du RPR, et si le RPR avait subsisté, il n’aurait pas vu l’UMP mettre son emprise sur ces dernières années.
La perspective de ce changement est une bonne nouvelle. Il y a des millions de Français qui sont prêts à venir vivre cette nouvelle étape avec nous. Mais ils ne seraient jamais venus, pour beaucoup d’entre eux, à l’UDF.
Pour eux, malgré les efforts incommensurables que nous avons consentis, année après année, congrès après congrès, à l’UDF s’était attachée une image, ou un trait de caractère, l’UDF, c’était la copie, le décalque, en plus modéré, mais aussi en plus fade, du RPR devenu l’UMP. Il a fallu des années pour faire entrevoir que peut-être pas… Ils ont commencé à l’admettre au cours de la campagne présidentielle en me rejoignant comme candidat, mais le parti, c’était non.
Ce n’est pas qu’un changement de forme. C’est un changement de fond. Ce changement, nous l’avons initié depuis longtemps, depuis 1999 : nous l’avons initié lorsque nous avons choisi de faire élire Anne-Marie Comparini à la présidence de la région Rhône-Alpes, européennes la même année, présidentielle, le combat des cinq années pour plus de démocratie en France, le congrès de Lyon, l’élection présidentielle.
Ce changement, il dit : nous portons un autre projet politique et un autre projet de société que celui que défendent l’UMP et le PS. Non pas une variante, non pas une nuance, non pas un autre dosage : un autre projet. Et ce projet, s’il est si fort, si marquant, si nous ne reculons devant aucun combat pour le défendre, si on ne recule devant aucun coup pour nous faire renoncer, c’est qu’il ne concerne pas que nous, pas que la France, pas que la politique. C’est une prise de position sur la grande confrontation qui se prépare pour l’Europe sans aucun doute, pour l’Occident à coup sûr, peut-être pour le monde.
La question, c’est le projet de société. La France est traversée d’inquiétudes, d’angoisses, l’Europe aussi. La France plus que d’autres. C’est que la France est un projet politique. Liberté, égalité, fraternité, c’est un projet politique ! Or, nous sommes entrés dans le temps de l’effondrement des projets politiques.
La mondialisation est un mouvement, une vague, une vague venue de loin, partie de loin, dont la période se mesure en siècles et en millénaires. « Une même vague par le monde, une même vague depuis Troie roule sa hanche jusqu’à nous ». Cette vague, voyageuse, migratoire, commerciale, elle pousse toujours du proche au lointain. Et en même temps, elle fait toujours au proche craindre le lointain.
Mais l’effet de cette vague, c’est l’effacement des projets politiques. L’uniformisation des projets politiques passés au rouleau compresseur du modèle dominant.
Or ce modèle dominant est en contradiction avec ce que nous avons voulu dans notre pays, dans notre nation, depuis deux siècles. Ce modèle dominant est en contradiction avec ce qui s’est passé, dans tout le monde occidental, depuis au moins un siècle et demi.
Au fond, tout l’Occident, et particulièrement la France, la France républicaine, vivait avec une idée simple : le progrès allait faire reculer les inégalités. Les inégalités de patrimoine, les inégalités de relation, les inégalités de naissance, elles existent, tout le monde les constate. Mais l’action politique, quand elle construit une société, son rôle, c’est de les compenser, de les équilibrer. Cela s’appelle justice. Et la justice crée du lien. La justice donne confiance à une société. Et les valeurs de la justice, ce ne sont pas les valeurs de la richesse. Les valeurs d’une société de justice, ce sont les valeurs de l’esprit et du cœur. La valeur dominante de la société inégalitaire, c’est la force, et la force c’est l’argent.
De ce combat, dépend notre avenir et l’avenir de l’Occident.
Si nous gagnons ce combat, qui est immense – il faut penser, avec idéalisme et avec réalisme, ce projet de société ; il faut rassembler pour le porter et le mettre en œuvre ; il faut forger les outils, nationaux et internationaux, pour le populariser ; il faut que ce projet soit libérateur, et en même temps, qu’il ait les moyens de se faire respecter – si nous gagnons ce combat, alors la mondialisation sera une chance. Si ce combat était perdu, alors la mondialisation serait une barbarie. Une civilisation, ou une défaite de la civilisation.
Et ce combat, il se joue en partie en France. C’est notre histoire. C’est notre peuple. C’est un peuple qui a choisi d’être grand. De se battre, de résister, même contre les géants. De porter des valeurs universelles. D’ici rayonnent des ondes qui se propagent par le vaste monde.
Pour conduire ce combat avec des chances, il y a une condition : briser le mur de verre qui sépare la droite de la gauche. Créer une nouvelle alliance. Je suis persuadé que les femmes et les hommes qui croient à une société de justice, et à la créativité économique, au citoyen responsable, à l’indépendance de notre pays et au besoin d’Europe pour porter ce projet, ces femmes et ces hommes sont majoritaires en France.
Mais, comme ils sont également répartis dans les deux camps, chacune des moitiés est minoritaire dans son camp. Il faut qu’ils puissent se rassembler. Avec le sigle UDF, c’était impossible. Combien de fois, si nous sommes francs, les uns et les autres, combien de fois, des amis, des gens que vous estimiez, que nous estimons, nous ont-ils dit : vous avez de bonnes idées, on travaillerait bien avec vous, c’est vrai que rien ne nous sépare, mais UDF, ça vous nous en demandez trop.
Et c’est moi qui dis cela. Et je le dis sans rien oublier du sentiment de gratitude, d’affection, d’amitié que je ressens à l’égard de l’UDF, je l’ai animée avec son fondateur, je l’ai fait vivre, je l’ai refondée, je l’ai conduite à son plus haut niveau historique depuis 20 ans, plus haut que Jean Lecanuet, plus haut que Raymond Barre. Je n’ai rien oublié de ce que nous avons vécu ensemble. Mais je vous le dis aujourd’hui : « il faut changer pour vivre, il faut changer pour aller au devant de millions de Français qui nous attendent, mais ne se reconnaissent pas dans l’image usée que ce sigle a pour eux. »
Pour eux, UDF, c’est l’ancien siècle, et c’est la dépendance, la complaisance à l’égard du RPR, de l’UMP. L’UDF, ce n’est pas la liberté, l’indépendance, c’est seulement une variante de la droite.
Cette grande espérance, ce ne peut pas être une variante, une roue de secours. Il faut marcher vers notre destin.
J’ai vu les yeux innombrables des sans-parti, des sans-espoir. J’ai vu ce matin même, le livreur qui m’a dit : « Monsieur Bayrou, la prochaine fois, on va gagner, et quatre ans, c’est pas long ». J’ai vu ce matin, au café, la dame, intellectuelle, qui m’a dit, « nous avons été abusés. » Tous ceux-là sont prêts à marcher avec nous. Mais ils ne viennent pas à l’UDF, ils viennent à une espérance nouvelle. Ils ont les yeux d’une espérance nouvelle.
Mais la bannière de l’UDF, cela les empêche de marcher. Alors il nous faut notre bannière, la bannière de notre génération. Nous avons retrouvé la jeunesse, il nous faut la bannière de cette jeunesse-là.
Trop de compromissions ont abîmé cette image. Trop de roueries, des alliances contre nature, de la langue de bois, de la soumission. Il nous faut une bannière qui soit neuve comme notre marche est neuve.
Alors j’entends bien comme, après tous ces sacrifices, beaucoup de nos élus ont un peu de mal, et qu’ils voudraient garder la vieille maison, et je ne sous-estime en rien les difficultés à passer d’un monde à un autre. Voulez-vous que je vous dise : je les aime. J’aime leur cuir tanné. J’aime leur expérience. J’aime quand ils sont auprès de moi. J’ai besoin d’eux. Mais je leur dis : vous n’avez rien à craindre du monde qui vient. Si nous restons entre nous, sur les remparts de l’ancien monde, tandis que tout bouge autour de nous, que nous restera-t-il ? Il restera des vestiges, nous allons être de moins en moins nombreux, et nous avons besoin de jouvence, pas de combats d’arrière-garde !
Regardez ce qui s’est produit. À la minute même où nous avons prononcé le nom de notre nouveau mouvement, il s’est produit un tsunami d’adhésions nouvelles : nous n’avons rien fait pour cela, nous n’avons rien préparé, nous n’avons pas dépensé un euro en communication… Et plus de 40 000 personnes nous ont rejoints. C’est comme un barrage qui a cédé !
Nous avons longuement discuté avec ceux, dans nos rangs, qui exprimaient leur attachement au sigle UDF. Ils mettent l’accent sur le fait que d’autres pourraient avoir l’ambition de récupérer le sigle… Je ne suis pas persuadé de ce risque, mais je les entends.
C’est la raison pour laquelle nous avons établi la ligne de conduite suivante. L’UDF décide d’être membre fondateur du mouvement démocrate et d’y adhérer en tant que personne morale. Cela signifie que les adhérents de l’UDF sont ipso facto adhérents du nouveau mouvement. Et nous décidons tous ensemble que dans ce mouvement unitaire, ce sont les instances élues du mouvement démocrate qui assument la responsabilité des décisions à prendre. Un bureau de 20 à 30 membres garantira les intérêts juridiques, matériels et moraux de la tradition et du patrimoine de l’UDF dans l’étape transitoire de trois années qui s’ouvrira à partir de la fondation.
Nous avons ainsi recherché les garanties maximales. Dois-je vous dire la vérité ? Je n’ai jamais pensé la vie en termes de garanties. Je la pense en termes de dynamique. À cette heure de son histoire, au moment où de grands enjeux pèsent sur la vie de nos compatriotes, nous sommes attendus. Si nous faisons face à ces enjeux, nous rencontrerons les Français, leur cœur, leur âme, leur volonté collective. Alors, nous porterons quelque chose de plus grand que nous : la confiance des Français.
C’est ainsi que je vis ce moment, avec vous, qui m’avez accompagné au long de ce chemin : comme une construction, comme une fondation, comme une renaissance.