Magazine Humeur

Une idéologie coûteuse

Publié le 26 avril 2010 par Magazinenagg

André Dorais
Après avoir accusés le capitalisme, le marché et la finance de la dernière crise économique, les politiciens s’attribuent le mérite d’avoir remis le pays sur les rails. Ce sont leurs plans de relance, clament-ils, qui ont permis la sortie de crise. Ils en veulent pour preuve un produit intérieur brut (PIB) positif depuis au moins 6 mois. À cette aune le Canada n’est plus en récession depuis un an. On dit communément que lorsque le PIB est positif deux trimestres d’affilée cela indique une expansion économique. À l’inverse, un PIB négatif deux trimestres d’affilée indique une récession.
À entendre les politiciens, médias et la plupart des économistes le PIB se veut une mesure de richesse «objective» ou scientifique, car il se fonde sur des calculs mathématiques. Il existe néanmoins une poignée d’économistes qui rejettent ce concept, car pour eux la richesse ne se mesure pas. Ils allèguent que la richesse, ou plus précisément la valeur attribuée aux biens économiques, est de l’ordre de la «subjectivité», c’est-à-dire propre à chaque individu. Ce qui a de la valeur pour l’un n’en a pas nécessairement pour l’autre.
Il y a un fossé qui sépare les irréductibles «autrichiens» des autres économistes. Seuls les premiers ramènent de façon systématique les données économiques à l’individu. Pour eux, les calculs d’agrégats comme le PIB et l’indice des prix à la consommation (IPC) ne décrivent aucune réalité, car ils ne se ramènent pas à l’individu. Les statistiques qui prétendent couvrir tout le monde par l’entremise de l’«individu moyen» oublient la réalité de chacun et conduisent à tous les abus. Ces agrégats tiennent lieu de science uniquement parce qu’ils sont chiffrés. On obtient le PIB en additionnant notamment les dépenses de consommation à celles des gouvernements, que l’on devrait aussi considérer comme des dépenses de consommation(i).
Étant donné que le PIB ne distingue pas les dépenses effectuées grâce à l’épargne de celles effectuées grâce à l’emprunt, un pays peut s’endetter énormément et prétendre s’enrichir en même temps. Or, l’endettement des gouvernements ne peut être payé que par les contribuables. Dès lors que les premiers réduisent les ressources des seconds, par la hausse des tarifs ou des charges fiscales, voire par l’inflation monétaire, il y a appauvrissement général, mais à entendre les gouvernements et à ne focaliser que sur le PIB l’économie est sur la bonne voie…
Le PIB distingue les dépenses individuelles des dépenses gouvernementales, mais il considère, à tort, que toutes deux contribuent à la richesse. La réalité est que les dépenses gouvernementales ne représentent pas les choix des contribuables, si ce n’est qu’une minorité d’entre eux. Pour être vraiment représentatives les dépenses devraient être effectuées uniquement par les consommateurs puisque dès lors qu’elles sont soumises aux votes, elles perdent de leur représentativité. En ce sens, on doit conclure que le concept du PIB se marie bien au processus démocratique puisque tous deux tendent à préconiser des choix collectifs plutôt que des choix individuels. On doit rappeler, cependant, que le processus démocratique n’est pas un synonyme de justice et que le PIB n’est pas un synonyme de richesse.
L’indice des prix à la consommation a moins de défaut que le PIB, mais ceux dont il souffre sont aussi dommageables à l’information qu’il présente que ceux associés au PIB. Il partage avec le PIB une «réalité statistique» déconnectée de celle des individus, à savoir une augmentation moyenne des prix d’un panier de consommation soi-disant représentatif de l’ensemble de la population. Cette moyenne ne correspond à aucune réalité individuelle. Elle pourrait néanmoins être utile si seulement elle tenait compte de tous les produits affectés par l’augmentation de la masse monétaire, mais ce n’est pas le cas.
Une augmentation de la masse monétaire, principale source de l’augmentation des prix, ne se traduit pas automatiquement par une hausse moyenne des prix des biens de consommation, mais elle affecte nécessairement les prix de tous les produits, aussi bien de consommation que de production, et plus souvent qu’autrement, à la hausse. Ne pas en tenir compte conduit à confondre la cause et l’effet de la hausse des prix, ce qui, il va sans dire, n’est d’aucun apport scientifique. Les économistes qui en tiennent compte, mais qui maintiennent l’idée que l’inflation est une augmentation moyenne des prix n’arrivent pas à s’entendre sur une définition de la masse monétaire. Tous les pays en ont plusieurs versions et celles-ci diffèrent d’un pays à l’autre.
Définir l’inflation comme étant une hausse moyenne des prix des biens de consommation conduit à plusieurs injustices. Les gouvernements et une bonne partie de la population ont tendance à accuser rapidement les marchands et les pétrolières de la hausse des prix, alors que ceux-ci tentent uniquement de s’ajuster à la hausse des prix qu’ils ont eux-mêmes à subir suivant l’augmentation de la masse monétaire, sous l’entière responsabilité des gouvernements. On ne devrait jamais parler de hausse des prix sans en même temps parler de sa principale cause. Les banques peuvent aussi augmenter la masse monétaire, mais uniquement parce que la loi leur permet; et la loi relève des gouvernements, pas des banques.
Il s’ensuit que ces agrégats n’ont strictement aucune valeur scientifique. Qu’on les utilise un peu partout et depuis longtemps n’y change rien, ils n’apportent aucune information pertinente à l’individu. Cela ne prouve qu’une chose : que l’homme est borné et entêté. Il résiste à l’idée que son dieu est mort malgré l’évidence.
Dans le but inavoué de se rapprocher de la science pure la science économique a cherché à mathématiser son objet de recherche, soit l’action humaine qui vise un but. Plutôt que de se rapprocher de la science pure elle s’est éloignée de la science tout court. Elle a substitué la précision mathématique à la juste description de la réalité. Le résultat est que la science économique enseignée aujourd’hui dans la plupart des universités décrit avec précision un monde imaginaire qui relève de la fiction plutôt que de la science.
Le prix à payer pour cet usage aveugle des mathématiques en économie est immense. Tous les pays s’endettent sous le prétexte de relancer leur économie respective. Politiciens et économistes tentent ensuite de faire avaler une couleuvre au peuple, à savoir que la hausse du PIB a prédominance sur la hausse de la dette et des différentes charges portées à son compte.
Si seulement ces dépenses visaient une production éventuelle de richesse elles pourraient être justifiées, mais bien qu’elles soient présentées ainsi elles ne peuvent pas être considérées de la sorte. Pour ce faire elles devraient correspondre aux désirs de chaque individu, ce qu’aucun gouvernement n’est en mesure d’effectuer. Un propriétaire qui s’endette pour une raison ou une autre dans l’espoir que cela lui rapportera plus tard doit en assumer tous les risques. Au contraire, le pire qui peut arriver à un gouvernement démocratique agissant de cette façon est de perdre le pouvoir aux prochaines élections. La facture est refilée aux contribuables qui, probablement en forte proportion, n’ont jamais eu un mot à dire sur les priorités gouvernementales.
Dire que les gouvernements n’avaient pas le choix d’agir autrement est faux. On a toujours un choix, mais très peu d’économistes et encore moins de politiciens ont préconisé un régime minceur aux gouvernements pour sortir de la crise. Pour relancer l’économie il fallait s’endetter, disaient-ils. L’État devait montrer l’exemple en dépensant, c’est-à-dire en consommant un peu n’importe quoi pour hausser le PIB, faux indicateur de richesse.
Les contradictions sont flagrantes. Un gouvernement qui dépense accroît le PIB, par conséquent la richesse soi-disant collective, mais celle-ci peut s’établir en appauvrissant la majorité des contribuables. Le PIB, comme les autres agrégats économiques, crée un monde qui n’a rien à voir avec le monde réel. Ce concept est utilisé par les gouvernements pour accroître leur pouvoir et leur prestige, mais ceux-ci ne servent aucunement la population. Au contraire, plus les gouvernements étendent leur contrôle, plus ils créent de pauvreté.
La raison en est simple : ils réduisent les choix de chacun sous le prétexte d’offrir l’«essentiel» à tout le monde. Étant donné qu’ils ont un accès trop facile à l’argent d’autrui et que cet «essentiel» est mal défini, ils finissent par l’agrandir jusqu’au jour où ils n’en ont plus les moyens. C’est alors que l’idée suivante leur passe par la tête : serait-ce que les libertés de choisir et de disposer de ses biens comme on l’entend soient les fondements de la richesse, autant celle des individus que celle de la société dans son ensemble? Malheureusement, cela leur passe par la tête mais n’y reste pas. À trop vouloir calculer la richesse on la dénature. Le PIB ne représente pas tant une richesse que des dépenses.
Depuis le début de la crise les gouvernements n’ont cessé de parler de réforme du système financier, mais uniquement pour accoucher d’une hausse de la taxation des banques. Par ce geste ils cherchent davantage à calmer la population qu’à réformer ce système, car ils savent, ou à tout le moins soupçonnent, qu’une véritable réforme de ce système impliquerait une forte réduction de l’État.
De manière générale les gens qui implorent l’État de leur venir en aide n’aiment pas beaucoup les banques, de sorte que les politiciens dénigrent et taxent celles-ci dans l’espoir d’obtenir l’appui de ceux-là. Les politiciens parlent beaucoup de réforme mais n’osent pas les effectuer, car cela réduirait leur pouvoir et conséquemment l’«aide» qu’ils pourraient apporter à leurs ouailles. Celles-ci ne réalisent pas que l’État est à la source de leur appauvrissement, par conséquent qu’elles s’en sortiraient mieux sans lui. Elles sont mieux diplômées qu’autrefois, mais tout aussi endoctrinées.
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(i) Les dépenses de consommation comme les dépenses gouvernementales relèvent toutes deux de l’achat de biens et de services de consommation. L’unique différence entre les deux est que celles-ci sont effectuées par l’entremise des gouvernements, tandis que celles-là sont effectuées directement par les consommateurs.
Par ailleurs, une distinction de «premier niveau» entre les biens de consommation et les biens de production est de dire que seuls les biens de production servent à la production d’autres biens économiques. Toutefois, la différence fondamentale entre ces biens ne relève pas tant du bien économique lui-même que de la relation entre l’individu et le bien, à savoir s’il en est le propriétaire ou non. Pour plus de détails, voir Réflexions sur la richesse économique.


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