Je suis assez vieux pour avoir connu le règne des sélectionneurs yougoslaves à la tête des Lions Indomptables. Si le nom de Vladimir Beara ne m'est pas familier (j'étais alors vraiment trop jeune), ceux de Ivan Ridanovic, Zutic Branco et Rade Ognanovic ont résonné à mes oreilles d'enfant qui avait pris l'habitude d'écouter les conversations des adultes. Cependant, le premier coach des Lions dont j'ai véritablement jugé le travail en toute autonomie, c'est Claude Le Roy.
Or, le Français fait quasiment l'unanimité en sa faveur au Cameroun en ce qui concerne l'excellent travail qu'il a effectué entre 1985 et 1988. Certains prétendent que son successeur, qui conduisit le groupe Cameroun à son meilleur résultat en Coupe du Monde (Quarts de finale en 1990), ne fit que récolter ce que Le Roy avait semé. Néanmoins, le nom de Valery Nepomniachi demeure associé à la saga italienne.
On peut donc dire que les deux premiers sélectionneurs dont j'ai pu observer le travail ont produit de bons résultats avec les Lions Indomptables. C'est peut-être pourquoi j'ai du mal à comprendre l'attitude de certains analystes envers Paul Le Guen. Je parle des journalistes et éditorialistes qui nous sortent actuellement, en parfaite synchronie, des textes au vitriol contre le Breton.
Puisqu'il faut toujours faire son autocritique, j'ai commencé par me demander si je n'étais pas celui qui avait trop poussé le curseur du côté de la béatitude, car j'ai la faiblesse de croire que les illustres professionnels dont je parlais plus haut ont placé ce curseur au beau milieu, sur le mode "neutralité".
Pourtant
J'ai fait mes classes dans l'enseignement public, et mon parcours n'est pas de ceux que les snobs affichent volontiers : lycée de Nanga-Eboko, lycée de Mfou et Faculté des Lettres de Yaoundé. En termes de prestige, c'est "peanuts", mais grâce à mes professeurs, je crois avoir appris les mêmes choses que tout le monde.
Par exemple, qu'on a plus de chance de convaincre lorsqu'on admet qu'il existe une antithèse à sa thèse. Ou encore, que chaque argument doit être étayé par des preuves. Lisez donc ceci et ceci, et dites-moi si vous y trouvez ne serait-ce que le début du soupçon de la trace d'une éventuelle antithèse. Quant aux preuves, elles existent peut-être, mais nous n'en savons rien, puisqu'elles ne sont pas données, et pour cause.
Je tiens à signaler que je fais le tri entre la satire, qui est une posture louable et nécessaire, et la polémique, qui est un mélange explosif de mauvaise foi et de méchanceté gratuite. Par exemple, le premier paragraphe de ce texte relève de la satire. Je partage d'ailleurs l'indignation de l'auteur sur ce point précis. Cependant, dire dans la suite que Paul Le Guen fait de l'acharnement anti Rigobert Song relève de la pure mauvaise foi : s'il fallait parler d'acharnement chaque fois qu'un manager décide de changer l'affectation d'une personne qui relève de sa responsabilité, alors il y a quelques millions de fieffés acharnés sur cette planète.
De même, prétendre que Paul Le Guen n'a jamais parlé d'homme à homme avec son ancien capitaine, c'est de la pure spéculation : l'auteur n'en sait rien, puisqu'elle n'est ni Paul le Guen, ni Rigobert Song, et qu'une conversation d'homme à homme, par définition, n'a pas de témoin.
Il y a aussi dans ce texte des perles. Par exemple, je suis absolument d'accord pour dire que Paul Le Guen est assez incohérent dans son discours. Mais lorsqu'il dit "Quand je prends une décision, je tiens compte de tous les paramètres. Il y a la valeur du joueur, ce qu’il peut apporter au groupe, son expérience, sa fraîcheur, sa valeur intrinsèque» et que l'auteur en profite pour prétendre qu'"il est évident qu’avec de tels critères, Rigobert Song sera parmi les premiers à aller en Afrique du Sud", on ne peut que s'empresser de rajouter quelques glaçons dans sa boisson.
Dans le même ordre d'idée, je ne vois pas en quoi le fait que Le Guen déclare "aimer" le Cameroun est incompatible avec le fait qu'il n'y vive pas. Moi-même j'aime mon pays, et pourtant je vis à l'étranger. Point n'est besoin d'aller bâtir sa maison dans le centre-ville de Yoko pour gagner le droit de dire qu'on aime le Cameroun, pas vrai ?
J'arrête là, afin de ne pas prêter le flanc aux accusations de pro-leguénisme qui ne manqueront pas de pleuvoir de la part des plus manichéens d'entre nous.
En effet, mon propos n'est pas de prendre la défense de Paul Le Guen, ni de m'inscrire dans un camp ou dans un autre. J'ai été l'un des premiers à m'interroger sur le fait qu'il soit arrivé à Yaoundé dans le même avion que Samuel Eto'o. J'ai été indigné par la réception qu'on lui a réservée, qui donnait du Cameroun l'image d'une bonne vieille république bananière accueillant son bwana. J'ai critiqué la préparation bâclée de la CAN. J'accuse aujourd'hui Le Guen et son staff de jeter notre argent par les fenêtres des hôtels sud-africains, etc.
Cependant, je demeure assez lucide pour faire la part entre ce qui relève de la responsabilité du coach breton et ce qui s'explique par nos propres camerouniaiseries, comme d'avoir fait signer un contrat sans clause d'exclusivité. D'autre part, je fais l'effort de reconnaître que l'ancien parisien mène un vrai travail de renouvellement et de rajeunissement des effectifs au sein du groupe Cameroun, qui en avait bien besoin.
De toutes façons, ayant connu l'ère Otto Pfister, je refuse tout net de considérer Paul Le Guen comme la pire des calamités qui soit arrivée aux Lions Indomptables.