BRTV a réussi un bon coup médiatique. « La chaîne qui a rendu leur dignité aux Kabyles » a réuni deux monstres sacrés de la musique, Akli Yahyaten et Lounis Aït Menguellet, pour un concert exceptionnel au Palais des sports dimanche prochain.
L’un à côté de l’autre. L’un et l’autre, Akli et Lounis. Le premier a eu un succès retentissant il y a plus de 50 ans, le second les enfile comme une évidence. Les deux sont autodidactes, formatés par aucune école. Tous les deux ont connu la prison. Pas pour les mêmes raisons, ni par les mêmes geôliers. Akli et Lounis, donc. Ils rééditent le coup du Zénith, au Palais des sports cette fois, une salle de spectacles qui a été rénovée dernièrement sur le plan acoustique. ça tombe bien, ils ont beaucoup de choses à dire, à chanter. Dda Akli s’est produit dans cette salle au lendemain de l’indépendance. 1963, un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. Il était en bonne compagnie, Nora, Dahmane El Harrachi et Khelifi Ahmed. Lounis venait d’avoir 13 ans.
Quatre ans plus tard, il se présente devant Chérif Kheddam pour s’essayer au chant à la radio. Que dire de Lounis ? Tout a été dit, ou presque. Quelquefois maladroitement. L’homme a inventé un pays, une langue. Un monde-village que la langue ciselée et épurée donne à comprendre, à voir. Et parce que l’universel commence justement dans son village, le poète privilégie l’authenticité. Il ne cherche pas à plaire, n’adoucit pas son verbe, évite la facilité. La langue fuit les barbarismes, les néologismes. Que le kabyle de Lounis est beau ! Une langue-pays, une langue-refuge. Une poésie à tiroirs. Comme des poupées russes, les mots renvoient à d’autres mots, un sens à plusieurs.
A l’infini et au-delà. Lectures multiples. Comme un tableau abstrait caché sous une couche figurative. De la poésie. Ben ne dira pas le contraire. La poésie, Dda Akli la maîtrise instinctivement. Il use de mots simples pour clamer la complexité. Dans une culture orale essentiellement, les poètes sont soumis à une injonction paradoxale. Ainsi, il est demandé, non, exigé de Lounis, d’être poète, compositeur, écrivain, opposant, esthète, politique… Il se trouve acculé à l’omniscience, à l’omnipotence. Peut-être pour masquer nos lacunes, nos lâchetés. Aït Menguellet n’a jamais prétendu à ce statut imposé de l’homme providentiel.
Bien au contraire, brechtien, il écrit, sape même la notion de providence dans ses textes. Il se veut avant tout un artiste libre, non soumis au marché ni aux attentes appuyées du public. Pas un héros, pas une idole, pas une image figée. Un artiste. Même si l’histoire de l’Algérie est inexorablement liée à la sienne. Même si lui a réussi à s’émanciper du poids des traditions, de la censure, du marché. Lounis est devenu adulte très tôt. On le somme d’être sage. Il en sourit. Les mots, les mots. Et si la faute nous incombait ? Et si nous avions échoué à le suivre dans son parcours atypique. Car, enfin, ce n’est pas à l’artiste de s’adapter à la société. Il nous a ouvert des horizons, des portes. Il nous appartient de les emprunter ou de nous en détourner. Aka ammi.
Le public a décidé de garder sa confiance en celui qui avait eu raison très tôt. Parce que la poésie est libératrice. Dda Akli, aussi, a su accéder précocement à l’universalité. El Menfi (le banni) est une formidable ode à la liberté, la résistance. A l’utopie. Rêver pour ne pas désespérer.
Par Rémi Yacine/ El Watan