Haïti a perdu une bataille, mais Haïti n’a pas perdu la guerre Par Leslie Péan
Dans l’article qui suit, l’auteur expose dans un premier temps les leçons à tirer de l’opération menée par le gouvernement Préval-Bellerive pour obtenir les majorités dont il a besoin au Parlement. Il examine ensuite les enjeux mis au grand jour par le vote de la Loi d’urgence.
Le 18 juin 1940, le général Charles de Gaulle prononçait à Londres un discours dont l’esprit résumait la situation de la France dans la guerre qui l’opposait à l’Allemagne nazie. Des semaines plus tard, à la fin du mois de juillet 1940, sera placardée sur les murs de Londres une affiche de la France révolutionnaire portant le message : « La France a perdu une bataille ! mais la France n’a pas perdu la guerre ! » Il existe dans toute lutte des moments difficiles et des coups bas. Les sénateurs qui feignaient d’ignorer que la Chambre Haute, à l’instar de la Chambre Basse, est une caisse de résonnance, un appendice de l’Exécutif présidentiel, et qui pensaient pouvoir amender le projet de loi des locataires du défunt Palais National ont été placés devant la réalité de la dictature du grand capital international et de ses associés haïtiens. Le gouvernement a montré son vrai visage. Il importe de tirer les leçons qui s’imposent. La jeunesse doit comprendre dans les détails ce qui s’est passé afin de se préparer pour les combats de demain.
Les leçons à tirer
La première leçon à tirer, c’est la déliquescence des partis politiques, incapables d’être à l’avant-garde et de donner des directives claires afin d’avancer dans la voie de la libération nationale. On savait que certains sénateurs n’étaient pas fiables et pouvaient, face aux marchandages et à la corruption, vendre leur conscience au plus offrant. Pourtant, aucune propagande n’a été faite pour prévenir la trahison de ces sénateurs. Gouverner, c’est prévoir. L’opposition n’a pas pu empêcher que le gouvernement Préval trouve le quorum au Sénat pour voter la Loi d’urgence constituant la mise à mort annoncée de la souveraineté nationale.
Depuis la fuite des Duvalier en 1986, Haïti est l’objet d’un tremblement de terre social quotidien. Les victimes se comptent tous les jours, tant les conflits sociaux se sont exacerbés. La politique des industries d’assemblage de sous-traitance a produit un prolétariat marginal qui s’est reflété dans les cartes mentales des partis politiques. Le théâtre de misère profonde et massive des bidonvilles a alimenté les théories abusives du gauchisme chrétien voyant dans le lumpen-prolétariat l’avant-garde des combattants pour le changement. Dans la course à la direction de la lutte politique, les partis traditionnels se sont retrouvés en compétition avec un gauchisme chrétien associé à un populisme de mauvais aloi. De Jean Tatoune à Amaral Duclona, les images fabriquées de toutes pièces et divulguées en coulissé sont celles de Ronald Kadav, d’Amiot Métayer, dit Kiben, Djwed Wilmé, Kolibri, Labanyè, etc. Sevrées des leçons d’instruction civique, les jeunes générations sont délaissées, sans repères pour affronter la modernité. Depuis le duvaliérisme, l’autorité du livre et du savoir a disparu devant la violence des armes.
Le discours populiste a pris le devant de la scène, au point de devenir l’élément constitutif et emblématique du paysage politique, sinon de la pratique politique tout court. Le schéma logique s’est inversé. Une certaine confusion s’est propagée et les machines politiques au lieu d’être des lieux d’élaboration de la politique sont devenues des coquilles d’indécision et d’hésitations. Les machines politiques n’ont pu apporter de réponses claires aux questions de société. C’est en allant s’exprimer à la radio que l’entreprise politique justifie son existence. En tant que medium de diffusion, la radio est devenue le message. L’un des effets positifs de cet état de choses a été l’émergence de Jean Dominique de Radio Haïti-Inter, ainsi qu’une plus grande participation du commun des mortels aux affaires de la cité. Le revers de la médaille a été le rabaissement du niveau de la pensée politique pas seulement dans le domaine de l’analyse mais surtout dans celui des dispositifs politiques, économiques et sociaux mis en place pour l’action. Pour trouver de vraies réponses à la question du blocage politique actuel, il faut commencer par faire un constat lucide de cette instrumentalisation à rebours, du règne des radios devenues des appareils politiques, puis celui de la confusion qui s’en est suivie.
La politique stérile des financiers internationaux
La corruption des parlementaires par le pouvoir exécutif ne date pas d’aujourd’hui. L’histoire du Parlement haïtien depuis le gouvernement d’Alexandre Pétion en atteste. Le pouvoir exécutif, quand il ne peut pas corrompre les parlementaires, les fait exécuter physiquement pour imposer sa volonté. On l’a vu en 1875 sous le gouvernement de Michel Domingue et surtout en 1879 sous les gouvernements de Boisrond Canal, de Lamothe-Hérissé et de Richelieu Duperval [1]. On se souviendra que les pouvoirs dictatoriaux à la solde de la politique stérile des financiers internationaux ont alors fait mitrailler les parlementaires libéraux pour maintenir Haïti dans le carcan de la dette. Sous les feux des bandits et des créanciers tenant Haïti en coupe réglée, la corruption des parlementaires par le pouvoir exécutif s’est pratiquée tout au long du XIXe siècle. Elle s’est poursuivie au XXe siècle, surtout dans le cadre des élections présidentielles tenues au second degré. Qu’on se rappelle encore comment la corruption a dominé les élections présidentielles de novembre 1930 et comment le vote des sénateurs a été acheté avec les sommes d’argent données par l’archevêque Mgr Le Gouaze et Edouard Estève, un riche commerçant de la capitale, pour faire élire Sténio Vincent contre Seymour Pradel.
La deuxième leçon est celle de la corruption de l’opposition par le pouvoir exécutif. On en revient à la corruption comme “moyen d’harmoniser les pouvoirs”, conception élaborée par le Premier ministre anglais Robert Walpole en 1721. La technique classique de corruption du pouvoir exécutif est de promettre ou/et de donner un emploi dans l’administration publique à des membres de l’opposition afin de leur faire appuyer ce que pourtant leur conscience condamne. Corruption politique qui avait son pendant à l’époque dans l’économie avec la traite des esclaves. Un échange tout comme un autre qui est fait aujourd’hui à travers les prix de transfert que les firmes multinationales, contrôlant 60% du commerce mondial, pratiquent entre leurs succursales, ravissant ainsi aux pays en développement les justes impôts sur les bénéfices qui leur sont dus. Les paradis fiscaux ne servent pas uniquement à blanchir de l’argent sale. Ils constituent dans les pays en développement un mécanisme essentiel aux pratiques d’évasion ou d’évitement fiscal des multinationales.
Le plus grand acte de corruption des aspirations populaires par le pouvoir exécutif
En Haïti, les petits biscuits distribués par le pouvoir exécutif sont les munitions de la machine de guerre du statu quo qui maintient les Haïtiens dans la servitude et l’exploitation. Le plus grand acte de corruption des aspirations populaires par le pouvoir exécutif noiriste a été celui orchestré le 2 juin 1844 par Salomon jeune (futur président en 1879) en faisant nommer le leader paysan Jean-Jacques Acaau, commandant de l’Arrondissement des Cayes. [2] Il fait caser tous les lieutenants d’Acaau dans des postes politiques dans le Sud afin de les neutraliser. Depuis lors, le modèle sera rodé et appliqué dans toutes les conjonctures. Pour neutraliser les revendications paysannes d’accès à la terre et de démocratisation des structures sociales, le statu quo corrompt les dirigeants des mouvements politiques en leur donnant des postes dans l’administration publique.
La liste des victimes de cette politique de corruption est longue. On sait comment en 1946, les défenseurs du statu quo ont mis en œuvre une stratégie à la fois cynique et efficace consistant à donner, d’une main, des bourses d’étude à l’étranger aux jeunes dirigeants du mouvement de 1946, et de l’autre, des postes de ministres à des cadres d’une grande popularité. Daniel Fignolé est un exemple. Comme le font aujourd’hui le Sénat et la Chambre des députés avec le vote de la Loi d’urgence, en 1947, le Parti Communiste d’Haïti (PCH) faisait alors hara-kiri et fermait ses portes pour laisser les mains libres au gouvernement d’Estimé. Dix ans plus tard, en 1957, la corruption du statu quo n’hésitera pas à donner le pouvoir présidentiel à Daniel Fignolé pour mieux le neutraliser et l’éliminer de la scène politique. De nos jours, le gouvernement Préval est devenu expert en création de commissions bidons pour neutraliser nombre de ceux qui se veulent porteurs d’un projet alternatif, démocratique et populaire pour Haïti. Le président Préval est devenu maître dans la politique corruptrice de distribuer des petits biscuits et croit fermement que le moyen essentiel pour couper court à toute parole critique est de donner un poste gouvernemental au citoyen dissident.Les promesses d’aide n’engagent que ceux qui y croient
La troisième leçon à retenir est le manque de confiance en soi et en ses propres capacités tel qu’exprimé par le président Préval. L’erreur fondamentale de ce dernier est de remettre l’avenir d’Haïti dans les mains de la communauté internationale. La conception dont procède ce choix est fausse. Jusqu’à la fin de 2009, l’assistance internationale n’a jamais dépassé le cap des 500 millions de dollars par année, tandis que les transferts de la diaspora étaient estimés à 2 milliards par an, donc quatre fois plus élevés. De même, ce chiffre est de loin supérieur à celui de l’ensemble des exportations haïtiennes, qui est de l’ordre d’un milliard. Pourquoi le gouvernement haïtien n’a-t-il pas pensé à faire appel à la diaspora et à lui proposer un partenariat similaire à celui que prétend vouloir financer la communauté internationale ? Pourquoi les 300 organisations haïtiennes de villes d’origine (AVO) qui existent au Canada et aux États-Unis d’Amérique n’ont-elles pas été invitées à une conférence de promesses d’aide en Haïti sur les dix prochaines années ? Est-ce parce que le gouvernement haïtien est conscient du déficit de crédibilité dont il souffre au sein de la diaspora qu’il ne cesse de berner de belles paroles en temps normal ou est-ce qu’il préfère donner libre cours au réflexe de mendicité bien connu dans le Tiers-Monde ?
Le gouvernement a raté encore une fois l’occasion de permettre aux Haïtiens de retrouver confiance en eux-mêmes et de forger leur solidarité. Pour reprendre le souffle, les Haïtiens restés au pays pourraient bénéficier d’un chita tande générateur de bouffées d’air pur et susceptible de leur offrir un salut à la hauteur des exigences du moment. Au lieu de renforcer le sentiment d’appartenance des Haïtiens en resserrant les liens entre eux, la Loi d’urgence rabaisse, nie et ignore l’État haïtien.
La manne financière de 10 milliards de dollars incluant 5 milliards et demi de dollars sur trois ans est une promesse, une carotte qui est agitée devant l’âne gouvernemental, pour l’obliger à marcher dans la direction que veut la communauté internationale. Là est tout le problème. Les Haïtiens ne doivent développer aucun complexe d’assistés vis-à-vis des donateurs. La dette de l’Occident vis-à-vis d’Haïti est lourde. Sans arrogance, les Haïtiens se doivent de faire la cartographie de leurs problèmes en indiquant les micropolitiques qui leur conviennent. Les problèmes haïtiens ont des racines profondes qui ne peuvent être surmontés en 18 mois ou en trois ans. L’aide internationale est bienvenue si elle doit aider à atténuer les dures conditions aggravées par le séisme. Mais cette aide ne doit pas renforcer les structures de la propriété ni les clans politiques qui en profitent. Cette aide internationale ne devrait en aucun cas venir renforcer la corruption économique de la clique au pouvoir, ce qui aurait pour conséquence, durant l’année électorale en cours, de lui donner une nouvelle légitimité par le biais des retombées politiques d’une atténuation de la crise actuelle.
Si les transferts de la diaspora ne représentent que 10% à 15% des revenus dont elle dispose, ne serait-il pas mieux de mobiliser cette diaspora afin qu’elle investisse 10% de plus de ses revenus en échange d’un pouvoir réel dans la gestion du pays ? Un tel partenariat ne serait-il pas plus bénéfique pour l’âme haïtienne ? L’expérience de la réalité financière internationale nous porte à douter du décaissement réel des montants de 5 milliards en trois ans pour Haïti. Comme le dit le vieil adage, les promesses d’aide n’engagent que ceux qui y croient. En revanche, la Loi d’urgence constitue un aval permettant au gouvernement de dépenser, sans avoir de comptes à rendre, non seulement les deux milliards de dollars (90 milliards de gourdes) du budget de la République mais également les quelque 40 millions de dollars mensuels alloués jusqu’ici au remboursement des dettes qui ont été annulées à cause du tremblement de terre.
L’âme haïtienne sacrifiée sur l’autel de la communauté internationale
La Loi d’urgence pour 18 mois n’a aucune justification et reflète uniquement l’acharnement et l’obstination du président Préval à perpétuer sa clique au pouvoir. C’est une nouvelle agression visant à saccager les victoires démocratiques gagnées depuis 1986. Nombre de personnalités politiques ont dénoncé cette nouvelle forfaiture du président Préval qui veut ligoter le peuple haïtien et le livrer à l’arbitraire. Quelques exemples. Le sénateur Youri Latortue a relevé nombre d’irrégularités dans le processus de ratification de la Loi d’urgence proposée par le président de la République. Dans une lettre ouverte au président René Préval, le dirigeant du GREH, Himmler Rébu, a décortiqué un abime de perplexité dans le document gouvernemental du 31 Mars 2010. En dénombrant un ensemble de choses grotesques, de contradictions et d’horreurs dans ce document, Himmler Rébu a été renversé parce qu’il ne croyait pas qu’un gouvernement aurait pu tomber si bas. Avec cette preuve d’un indéniable mauvais goût, c’est vraiment un pot de nuit rempli que le gouvernement Préval déverse sur la tête du peuple haïtien. Un autre critique de la conception, de la formulation et du libellé de la Loi d’urgence est le notaire Jean-Henry Céant qui a parlé de galimatias au sujet du texte voté. Pour Maître Céant, le vote des parlementaires est le « vote de la honte ». La Loi sur l’état d’urgence met fin aux libertés fondamentales, concentre tous les pouvoirs dans les mains du président et donne un pouvoir sans bornes au président. Enfin, pour le sénateur Andrice Riché, le gouvernement a refusé de faire appel aux forces vives de la Nation pour trouver un renouveau.
En effet, le gouvernement est resté immobile devant la catastrophe. Le silence de Préval devant le désastre du séisme n’est pas de la sobriété et de la timidité. Ce n’est pas de la modestie devant le dénuement, mais plutôt l’étalage de son incompétence propre. C’est le vide sidéral de son incapacité qui a été mis à nu. Le monde entier a assisté à la puissance de désordre d’un dirigeant qui insiste à mettre sur son orbite malsaine de ravage toute une population désabusée par le malheur. Le mélange de silence et d’impossible que propose le président Préval au peuple haïtien masque le rôle d’un projet qui demande la suspension des libertés en échange de l’argent. Comme l’explique Paul Craig Roberts, ancien assistant secrétaire américain au Trésor sous l’administration du président Reagan, la finance s’impose contre l’éthique, dans le sillage du mouvement de promotion des intérêts mesquins de la Corporate America qui fait que chercheurs, économistes, médecins et pharmaciens vendent leur âme pour un « gain répugnant ». [3]Mais en plus du fait que la Loi d’urgence verrouille les libertés publiques et privées, les mécanismes financiers qui y sont inscrits n’envisagent pas d’autres options viables pour financer le développement d’Haïti. Nous avons déjà parlé des possibilités de financement du développement qu’offrait la titrisation pour mobiliser l’épargne de la diaspora en créant des instruments financiers donnant un effet levier aux actifs des travailleurs haïtiens à l’étranger. [4] Mais il existe d’autres instruments financiers créés par la France pour mobiliser et orienter l’épargne de la diaspora. Le premier est le compte épargne codéveloppement qui permet à tout immigré en France, de bénéficier d’une déduction fiscale dès lors que les sommes épargnées sont investies dans des projets de développement économique du pays d’origine. Le second est le livret d’épargne codéveloppement, permettant au migrant de constituer une épargne qui donne droit ultérieurement à une prime lorsqu’il contracte un prêt aux fins d’investissement.
Les démocrates se doivent d’être vigilants et refuser toute solution consistant à choisir entre la peste et le choléra. Entre la dictature et l’anarchie. Entre les gangs du narcotrafic semant la mort au Mexique, dont parle le président Clinton, et les diktats de la communauté internationale. Il faut refuser cette mauvaise alternative, ce genre de « choix catastrophique » [5] comme le nomme Álvaro García Linera, le vice-président bolivien. Contrairement à ce que pense le président Clinton, la question n’est pas le chaos ou l’occupation étrangère d’Haïti. Il n’est pas question de tomber dans ce simplisme pour trouver une solution à la crise profonde qui ronge la société haïtienne. L’opinion publique haïtienne a rejeté la Loi d’urgence votée au Parlement. La déception est sur toutes les lèvres. Le citoyen haïtien a été atteint au cœur par le coup de couteau du Parlement. Malgré sa victoire à la Pyrrhus, le gouvernement ne peut susciter aucune admiration, même distanciée. Après avoir dilapidé le présent, le gouvernement Préval détruit l’avenir en se laissant imposer la route du renouveau par la communauté internationale. Haïti a perdu son identité et sa dignité à travers le vote de la Loi d’urgence qui lui fait avaler jusqu’à sa fierté.
Nous sommes partisans de la création de structures de veille indépendantes pour gérer, exécuter, suivre et évaluer les travaux de reconstruction. Mais ces structures de veille ne peuvent en aucune façon être au-dessus de l’État. Les démocrates haïtiens n’ont aucune objection contre l’établissement par la communauté internationale de mécanismes de décaissement conditionnés par des audits indépendants réalisés par des firmes comptables internationales recrutées à partir d’appels d’offres. Mais la gestion de ces entités doit aussi faire l’objet d’audits de la part de l’État haïtien pour déterminer leur performance par rapport aux termes de référence établissant leur fonctionnement.
Pour faire échec au projet apre nou se nou
Préval fait prévaloir les intérêts économiques et politiques des étrangers. Tous ceux qui escomptaient un grand débat national ont été sidérés de voir avec quelle désinvolture le gouvernement Préval a vendu l’âme haïtienne. De plus, il n’a pas voulu descendre seul dans la fange. Il s’est arrangé pour que le Parlement l’accompagne sur les routes du manquement au devoir de résistance et de flamboyance que nos Aïeux de 1804 nous ont légué. Le gouvernement Préval se révèle une machine à humilier Haïti et les Haïtiens. Il le fait en souriant avec des gestes parfaits. Préval s’exécute avec des moments d’harmonie qui s’accommodent de la catastrophe naturelle pour devancer l’opinion et, en bredouillant les mots, participer à la récupération mercantile du désastre du séisme à son profit. Pour régner dans l’apre nou se nou.
Dans l’arrangement concocté à New York, l’État haïtien ne conserve aucune de ses fonctions, tandis que la communauté internationale accroît son influence. En imposant ses diktats, cette dernière établit une tutelle de fait sur Haïti. Pourtant, le président français Nicholas Sarkozy avait mis en garde les Haïtiens contre ce danger. Mais le gouvernement Préval est prêt à composer avec n’importe quoi pour ne pas changer les choses. Devant l’ultimatum de la communauté internationale d’annuler la rencontre du 31 Mars à New York si la Commission intérimaire n’est pas validée ultérieurement par le Parlement haïtien, le président Préval aurait dû claquer la porte. En nouvel esclave, le président haïtien n’a pas pu ressentir de la colère. Comme l’enseigne Aristote dans la Rhétorique, le président Préval a préféré ne pas répondre, s’humilier et avouer ses torts pour plaire à ses maîtres. Nos aïeux de 1804 qui ont versé leur sang pour être traités différemment par la communauté internationale et pour donner à l’Haïtien une valeur doivent se retourner dans leurs tombes. Le président Préval a profité du diktat de ses tuteurs étrangers pour ajouter ses propres desiderata en ajoutant la Loi d’urgence au projet de loi.
En guise de conclusion
Terminons en revenant à l’aveu de défaite du général de Gaulle le 18 mai 1940. Ce dernier ne s’est pas contenté de faire une constatation et des protestations verbales. Il n’a pas adopté une attitude velléitaire en attendant que les cieux exaucent ses vœux de libération. Pour changer le cours des choses, le général de Gaulle a organisé le mouvement de résistance français. Face à un gouvernement qui prétend répondre aux vœux de la communauté internationale en déclarant l’état d’urgence, qui lui permet de ne respecter aucune règle de droit, de conduite ou de morale, le mouvement démocratique ne peut pas se croiser les bras. La Loi d’urgence consacre le règne de l’irresponsabilité et la mise à l’écart de tous les mécanismes de transparence dans la comptabilité publique. Pour mettre fin aux 18 mois programmés d’anarchie et d’abus, la résistance du peuple haïtien doit s’organiser. La société civile a pour devoir d’ouvrir un débat national sur les enjeux de l’heure afin de dégager les actions à entreprendre pour contrecarrer la dérive qui met l’État haïtien au service exclusif d’une clique de combinards et foule aux pieds les aspirations les plus légitimes du peuple haïtien.
----------------------------------------------------------------------------------------[1] Leslie J.-R. Péan, Haïti – Économie Politique de la Corruption, Tome II, L’État Marron (1870-1915), Éditions Maisonneuve et Larose, 2005, pp. 399-414.[2] Leslie Péan, Aux Origines de l’État marron en Haïti (1804-1860), Éditions de l’Université d’Haïti, P-a-P, Haïti, 2009.[3] Paul Craig Roberts, « Truth has Fallen and Taken Liberty with it », CounterPunch, 24 Mars 2010.[4] Leslie Péan, « Les Transferts Financiers de la Diaspora et le Financement du Développement d’Haïti », AlterPresse, 17 août 2009[5] Álvaro García Linera, « El Empate Catastrófico y Punto de Bifurcación », Crítica y Emancipación, Clasco Revistas, Buenos Aires, Argentina, junio 2008, p. 26.