21 ans après Avril 1989

Publié le 24 avril 2010 par Bababe

« Parce qu'un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir... » F.Foch

Une amie et moi,  serions-nous de ces gens qui n’entretiennent pas le devoir de mémoire ?

Moi, dont un certain 24 avril 1989 avait bouleversée la vie, je laisse chaque fois passer ce jour  comme un jour ordinaire…

Et cette amie traumatisée, qui cherche vainement à gommer tout souvenir des cruautés qu’elle a vécues.

21 ans après cet avril 89, une cousine membre de l’association des femmes qui commémore chaque année cet évènement, m’invite à participer à la manifestation organisée au Parvis des Droit de l’Homme à la place du Trocadéro à Paris.

Si un certain propriétaire de sa tête prétend que (c’est là du famdéré haaju, (n’avoir rien de mieux à faire), le maréchal Foch, de sa statue qui fixe du regard la Place, semble rendre hommage à ces femmes qui n’oublient pas  la mémoire des leurs, victimes de l’injustice.

Les vendeurs ambulants sénégalais tout près, posaient pour un instant leurs Tour Effel miniatures, le monument, symbole de la capitale du pays qui accueille ces femmes), pour admirer les  boubous qui leur rappellent le pays natal.

A un habitué qui  faisait observer qu’il y a moins de monde, on peut espérer que c’est le vent de réconciliation qui souffle  sur le pays, qui a fini par apaiser les cœurs et réduire les pas.

Même si pour moi le traumatisme du 24 avril 1989 s’est traduit  par une certaine perte de mémoire, je peux dire que je  n’ai pas oublié, en écrivant entre autres ces mots extraits des  Chameaux de la haine à paraître :

(Photo : sourire qui pourrait être celui de l' épouse de Taaw) 

«  (...) Les jeunes baana-baanas ensanglantés que nous croisâmes à l’entrée de la polyclinique furent pour moi les premiers signes de l’horreur. Sur leur tête et dans leurs bras, il n’y avait plus de marchandises. Leurs habits maculés de sang montraient quelles violences ils avaient subies, et leurs yeux hagards disaient qu’ils étaient en état de choc. (…)

 

 

Dans une ville côtière du nord, loin  du Dakar de son enfance léboue, Taaw, pour la millième fois, était retourné en mer, laissant sa femme dans l’angoisse.  (…)

Taaw allait encore affronter les gigantesques vagues de l’Atlantique auxquelles il livrerait un combat impitoyable, mais un combat égal. Il n’y avait pas de place pour la lâcheté dans ce corps à corps. Certes, il récitait chaque fois les incantations que son père lui avait apprises pour dompter la rage des vagues. Il était conscient que sans le courage, les incantations et son suroît jaune de pêcheur n’auraient pas suffi pour que l’océan le laisse s’emparer de ses poissons.  (…)

Il n’éprouvait que mépris pour ces marins pêcheurs juchés sur leurs bateaux-usines  et massacrant les poissons.

Face à l’océan, le Lébou  au physique imposant  était avant tout envahi par un sentiment de fierté virile, et seulement après, il se laissait gagner par la satisfaction de ceux qui se donnent de la peine pour nourrir leur famille. Il  prenait des risques quotidiens contre les vents déchaînés et les vagues en furie au milieu d’une faune marine pas toujours hospitalière.

 Qu’éprouva ce noble pêcheur quand, à peine descendu de sa barque, il lut sa mort dans le regard des assassins qui l’attendaient ? Quelles prières prononça-t-il face à ces hordes d’hommes qu’on avait armés pour guetter sur les plages le retour des pêcheurs ? Quel geste vain esquissa-t-il quand les poignards s’enfoncèrent dans la chair de ses compagnons, avant que son corps meurtri ne s’affaisse lourdement dans l’océan dont l’eau se teintait du rouge de leur sang. (***)

Ils  n’eurent pas même le temps de savoir pourquoi ils mouraient. Leurs corps massacrés furent rejetés à la mer. (…)

Ô Khoudia Anta Diop de Ndar, divine reine des eaux et des vents, toi qui, le jour, séduisais de puissants rois, pour les repousser, sitôt la nuit venue ! Toi qui fis du fleuve ta couche nuptiale et engendras les sirènes, resteras-tu longtemps sourde à la complainte des innocents !

Quand viendras-tu, ô miracle ?

Corps inanimés que le courant emportait au loin, corps sans le moindre souffle de vie, voguant au gré des vagues. Comment ne pas espérer un miracle, un petit miracle qui redonnerait vie, ne serait-ce qu’à un seul corps, ne serait-ce qu’un bref instant, le temps d’alerter les pêcheurs encore au large de ce qui les attendait sur le rivage ? Le temps de les prévenir que sur la plage, ne les accueilleraient pas les sourires de mères et d’épouses soulagées de les savoir de retour, mais les rictus de bouches avides de sang et l’éclat des coutelas à l’affût de leur chair.

Mort cruelle ! Cette mort n’est seulement pas injuste, cette mort est indécente ! 

 Mort cruelle ! Mort injuste ! Ô brutale et indécente  mort!)

Quand deux des tueurs, dont les âmes avaient dû être confisquées par ceux qui les avaient réduits à l’état de bêtes, se mirent à laver machinalement leurs mains ruisselant de sang, avec la sérénité de ménagères se débarrassant de la poussière du mil fraîchement pilé, un oiseau marin battit de l’aile, comme s’il frissonnait de honte ou d’effroi, et s’envola de la plage, haut, très haut dans le ciel.

Il n’y eut point de miracle, l’océan garda un court moment la couleur  rouge du sang des innocents. Comme s’il voulait à la fois témoigner de leur sort injustice, et refuser d’être complice des assassins. Puis, vague après vague, il reprit lentement ses couleurs. »  : Extrait des Chameaux de la haine

Safi Ba