Même si je passe mon temps blog-esque à disséquer le petit écran, j'avoue que j'allume très rarement le poste qui me sert officiellement de télévision. Même si, ce printemps, Arte et son cycle asiatique m'aura un peu réconcilié avec la télévision "en live". Reste que je n'ai plus le réflexe de, ne serait-ce que, regarder un programme tv. Heureusement, il existe un site comme Le Village pour assurer un prosélytisme téléphagique européen et s'occuper des piqûres de rappel nécessaires (merci twitter) afin de me persuader du bienfondé de bloquer trois samedis soir, à s'essayer à suivre une diffusion au rythme indigeste, pour une série déjà enterrée par France Télévision.
Le premier attrait de La Commanderie réside dans l'époque et le sujet qu'elle se propose de traiter. Mêlant petites et grande histoires, péripéties d'un quotidien rude et quête sacrée en fil rouge, la série s'inscrit dans une certaine tradition des aventures romanesques historiques, un genre qui peut a priori parler à un large public.
L'histoire se déroule dans une des époques les plus troublées du Bas Moyen-Âge, la seconde moitié du XIVe siècle, une période qui correspond à la Guerre de Cent Ans. Plus précisément, la série s'ouvre en 1375. Ce ne sont pas les puissants, mais plutôt les gens du commun qui l'intéresse. C'est en effet un véritable tableau de la vie d'une époque qu'elle souhaite nous dépeindre ; le contexte a pour cela son importance. La rudesse des temps accroit la fragilité d'une population réduite au misérabilisme et qui fut en partie décimée par la peste noire. Le peuple s'efforce de survivre, affrontant les épreuves naturelles, mais aussi d'origine humaine. C'est sur le territoire d'une seigneurie particulière que la série se propose de prendre ses quartiers. La Commanderie d'Assier se situe en Bourgogne, sur la route du pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Ancienne possession de l'Ordre des Templiers, qui fut anéanti au début du siècle par Philippe le Bel, elle appartient désormais à l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem et de Rhodes.
La Commanderie choisit d'essayer de transposer à l'écran le quotidien d'une époque, à travers le prisme de ce lieu de passage que constitue la commanderie. C'est cette richesse dans les différents aspects développés qui marque. La fiction va effet s'intéresser à la gestion courante du domaine, des relations avec les métayers présents jusqu'aux tensions possibles avec les seigneurs voisins. Mais il y aura aussi des inattendus, comme la visite d'un inquisiteur ou du frère du roi. En toile de fond apparaît le grand projet de l'Ordre des Hospitaliers : l'organisation d'une nouvelle croisade, pour reconquérir les lieux saints en Orient. Mais pour envisager un tel projet militaire, il faut un financement conséquent. Aucune puissance temporelle ne dispose des fonds nécessaires en Europe. Seulement une histoire, devenue presqu'un mythe, est restée vivace au cours des dernières décennies : le fameux or des Templiers aurait été caché par les derniers survivants de l'Ordre. Il attire toutes les convoitises. C'est sur les traces d'un religieux ayant quitté précipitament Paris le 12 octobre 1307, la veille de la vague d'arrestations, que la quête de ce trésor va constituer le fil rouge de La Commanderie.
En évoquant ainsi le résumé de la série, il est aisé d'entre-apercevoir déjà quel sera sans doute son principal point fort : la densité de ses storylines. Une richesse scénaristique que la fiction mettra d'ailleurs un peu de temps à exploiter à sa juste valeur. Du fait que l'on ne se concentre pas sur une seule et unique intrigue, les tout premiers épisodes se révèlent parfois un peu confus : la narration est trop décousue, les dialogues manquent de relief, simples échanges de banalités. Le téléspectateur peine donc à rentrer immédiatement dans le récit, cherchant à cerner le but vers lequel tend tout cet univers. Mais sa patience est récompensée : la fiction prend de plus en plus d'épaisseur au fi des épisodes. Elle gagne en homogénéité et en cohésion, finissant par parfaitement maîtriser cet aller-retour constant entre petites histoires, parenthèses de vie illustrant les contraintes d'une époque et d'un milieu, et le fil rouge que constitue la recherche du trésor des Templiers. Cette construction scénaristique doit donc être saluée : si elle met un peu de temps à arriver à maturation, une fois qu'elle a dépassé le relatif fouilli initial, elle s'affirme de façon très intéressante.
Ce souci constant d'alternance entre petites et grande histoire permet une immersion aux saveurs des plus authentiques au sein de cette société moyen-âgeuse troublée de la fin du XIVe siècle. D'ailleurs, plus que la transposition à l'écran d'un mythe populaire frappant l'imaginaire collectif - l'or des Templiers -, c'est le volet, plus besogneux, de la vie quotidienne qui m'a surtout intéressée. Par le biais des nombreuses intrigues secondaires qui parcellent les épisodes, la série donne l'impression d'offrir au téléspectateur des tas de petites anecdotes tout droit sorties de récits d'époque. Les exemples foisonnent, signe de la richesse et du travail réalisé en amont par les scénaristes. On peut citer ainsi le jugement, puis l'exécution, d'un cheval coupable d'un homicide, scènes qui donnent l'impression d'assister à une application à la lettre, sous nos yeux, des dispositions d'un quelconque coutumier rédigé au cours de ce siècle. Le téléspectateur non médiéviste, à défaut de pouvoir juger de la justesse de tous ces petits détails, perçoit en revanche pleinement le réel effort de reconstitution historique qui a été fait. De ce travail assez minutieux ressort l'impression d'un ciselage habile du scénario qui joue sur plusieurs facettes, proposant des tranches de vie quotidiennes, tandis qu'en arrière-plan se profilent des enjeux politiques majeurs.
Cependant, si La Commanderie est animée d'intentions manifestement louables de la part des scénaristes, acquérant progressivement une dimension à souligner, cela ne permet pas d'occulter le principal reproche que je lui adresserai : la forme ne s'est pas révélée à la hauteur du fond proposé. De ce point de vue également, une amélioration est perceptible au fil des épisodes. Initialement, la réalisation m'a paru trop en retrait. La caméra suit les protagonistes de la plus neutre des façons, et seuls quelques plans - la plupart du temps en extérieur - semblaient vouloir s'essayer à une certaine profondeur dans la mise en scène. A mon sens, dans les fictions historiques où le budget ne permet pas des reconstitutions d'époque somptuaires et éclatantes, c'est par un travail sur l'image que l'on peut s'y substituer pour tenter de conférer une identité particulière à la série. La forme doit devenir un outil pour dépasser les limites financières.
Cela passe par une réalisation plus entreprenante, avec une caméra qui prend parti par rapport à l'action qu'elle filme. La photo de l'image peut également être opportunément retouchée : au lieu de garder un coloris trop classique, jouer sur les différentes teintes et sur les couleurs à faire ressortir peut donner des résultats probants. Un autre élément, très utile, qu'il aurait fallu plus mettre en valeur dès le départ est la bande-son. Celle-ci était tout d'abord trop timide, alors même que la connotation historique du récit rend facilement utilisable cet outil. Cependant, j'ai eu l'impression que, après des débuts timorés, des efforts de plus en plus intéressants étaient ensuite faits sur la forme (à moins que cela soit simplement une habitude ensuite prise). Au cours des deux derniers épisodes diffusés hier soir, j'ai relevé plusieurs essais qui m'ont semblé aller dans le bon sens, signe d'une prise d'assurance : j'ai bien apprécié ces scènes où plusieurs actions sont mises en parallèles, avec l'utilisation opportune d'une musique de fond à tonalité sacrée qui empiète sur les images. Cela confère une ambiance et un certain souffle supplémentaire aux évènements auxquels nous assistons.
NOTE : 6,5/10
La bande-annonce de la série :