Il semble bien illusoire qu’un des cinéastes les plus créatifs et demandés du cinéma américain retourne chez lui, dans la province française, pour réaliser un film familial. Pourtant c’est ce qu’a fait Michel Gondry. Non seulement il l’a fait, mais ce film, L’épine dans le cœur, bouscule les attentes et suscite bien plus qu’une petite émotion. Pas étonnant qu’il soit passé par le Festival de Cannes en 2009. Visible dans une unique salle la semaine de sa sortie (MK2 Bibliothèque à Paris), le film va peu à peu voyager à travers la France pour trouver son public.
Le réalisateur français des perles américaines Eternal Sunshine of the Spotless Mind et Soyez Sympas, rembobinez est parti poser sa caméra dans un petit coin des Cévennes où vit sa vieille tante Suzette, institutrice à la retraite, plus de 80 ans au compteur désormais, qui fut une enseignante emblématique des villages de la région où elle a vécu avec son époux et son fils presque toute sa vie d’adulte. Gondry et sa tante refont son parcours professionnel, retournant dans les salles de classe, retrouvant les anciens élèves, le tout avec une intimité et une simplicité inhérentes au fait que derrière la caméra, c’est le neveu Michel qui orchestre.
Mais en cours de route, Michel Gondry a mis le doigt sur quelque chose. Une histoire de famille. Celle de la relation compliquée entre Suzette et son fils Jean-Yves, le cousin de Gondry. En filmant sa tante et son cousin, le cinéaste découvre une relation tumultueuse, un conflit sourd, une rancœur tenace, des non-dits difficiles à nommer. Le cœur de son film se déplace alors. Il s’agit alors autant du passé familial que des souvenirs professionnels.
On ne s'attendait pas spécialement à ce que Gondry s’attaque au documentaire, encore moins avec un sujet si personnel. Il y a parfois quelque chose d’étrange à voir le talentueux cinéaste de la bricole ainsi en famille au fin fond de la France, nous faisant découvrir sa famille et ses histoires. Mais il ne fait rien comme tout le monde, et son Épine dans le cœur, aussi quelconque soit-elle au premier abord, révèle une profondeur et une sensibilité inattendues. Finalement son film est celui d’une mère et de son fils, elle au caractère et à la personnalité forte, lui si insaisissable, décalé, fragile, dans son monde, que la communication entre eux s’avère ardue, et l’amour si difficile alors qu’il devrait couler de source entre une mère et un fils.
Brassant en moins d’1h30 des décennies de la vie de Suzette, Gondry parvient à imprimer du souffle à son sujet si tranquille, naviguant à travers les villages et les années. Son film si personnel devient un regard universel sur la famille, ses souvenirs, ses tensions. Eternal Sunshine of the spotless Mind, La science des rêves et Soyez sympas rembobinez ont montré à quel point Gondry s’intéresse à la mémoire et aux souvenirs, thème récurrent de ses œuvres auquel n’échappe pas L’épine dans le cœur. Cette amère nostalgie coule dans les veines de ses films, et cette exploration documentaire nous en révèle un aspect évident, avec la poésie et l’esprit système D qui sont l'apanage du cinéaste.
Gondry n’hésite pas à nous montrer les coulisses de son documentaire au fur et à mesure de l’aventure, ne cherchant pas à réaliser un produit lisse visuellement, apportant son grain de folie habituel.Mais si son film nous émeut, ce n’est pas tant par son adresse de metteur en scène que par la sincérité de son entreprise, par ce regard aussi stupéfait que nous sur Suzette et Jean-Yves, cette famille marquée par l’amertume. « Jean-Yves, c’est une épine dans mon cœur » dit Suzette de son fils devant la caméra de Gondry. Un aveu terrible et remuant qui donne son titre à cette parenthèse inoubliable dans la carrière du cinéaste.